C’est un « constat lucide » que dresse Julie Deshayes. Un an après avoir cofondé YesHome avec son associé Gaspar Camboulive, l’entrepreneure a annoncé sur un
post LinkedIn la fermeture de son service de care management. L’ambition était pourtant claire : importer en France ce métier de coordinateur de parcours de soin, chargé de soulager les familles dans la gestion de la perte d'autonomie.
Mais entre l’idée et le marché, le fossé s’est avéré trop large. L'expérience de YesHome met en lumière les barrières structurelles qui freinent encore l'émergence de services privés dans le secteur du « bien-vieillir ».
Retrouvez notre article sur
le métier de Care Manager.
Le mur de la culture du service public
Le premier obstacle rencontré par la jeune pousse est d'ordre culturel. « Introduire le care management en France nécessite un important travail de pédagogie », analyse la co-fondatrice. Le métier, bien qu'essentiel dans d'autres pays, souffre ici d'un déficit de notoriété et de légitimité.
Surtout, YesHome s'est heurté à la réalité économique du secteur médico-social français. Dans un pays où l'accompagnement des aînés repose historiquement sur les services publics et le tissu associatif subventionné, le consentement à payer pour un service privé de coordination reste faible. « Le marché français n’est pas encore prêt à payer pour un service de coordination, aussi utile soit-il », confie Julie Deshayes.
Savoir « couper » tôt
Face à un cycle de vente long et énergivore, nécessaire pour éduquer le marché, les fondateurs ont fait le choix de la rationalité économique. Plutôt que de s'obstiner dans une évangélisation coûteuse en trésorerie et en temps, le duo a décidé d'arrêter les frais.
Une décision qui souligne la difficulté pour les startups de la Silver Économie de trouver un modèle rentable rapidement (BtoC), sans dépendre des financements publics ou des grands groupes d'assurance.
Un rebond vers la reprise d'entreprise
L’échec de ce modèle n’entame pas pour autant la fibre entrepreneuriale de Julie Deshayes. Si l'aventure YesHome s'arrête, la dirigeante prépare déjà la suite. Elle opère un pivot stratégique vers le conseil, tout en affichant une nouvelle ambition : la reprise d'une PME en Normandie.
Les acteurs du Care Management en France
L'échec de YesHome illustre la difficulté du modèle BtoC pur (vente directe aux particuliers). Aujourd'hui, le marché s'est structuré autour de deux modèles viables : le BtoB (financé par les entreprises pour leurs salariés aidants) et le modèle intégré (coordination incluse dans une prestation d'aide à domicile).
Voici les principaux acteurs classés par catégorie :
1. Les "Pure Players" du Care Management (Modèle BtoB / BtoBtoC)
Ce sont des plateformes de coordination pure. Elles ne vendent pas les heures de ménage, mais l'expertise du coordinateur (le Care Manager). Leur modèle économique repose majoritairement sur le financement par les entreprises (assurances, mutuelles, grandes entreprises) pour leurs salariés aidants.
- Prev&Care : L'un des leaders. Ils proposent un Care Manager dédié qui réalise le diagnostic et coordonne les prestataires. Très orienté BtoB (inclus dans les packages RH de grandes entreprises).
- Tilia : Une solution hybride (humain + digital) qui propose un assistant personnel pour les aidants. Ils travaillent beaucoup avec les groupes de protection sociale.
- Care at Work (Groupe Up) : Offre de l'ancien Ma Bonne Fée ou solutions similaires intégrées aux avantages salariés (CESU, etc.), focalisée sur l'équilibre vie pro/vie perso.
- Responsage : Service de conseil social et d'orientation pour les salariés aidants (souvent par téléphone, moins "terrain" que d'autres, mais très implanté).
- Autonomia qui a racheté les Autonomie Planners : entreprise à mission, membre du groupe Oui Care, leader français des services à la personne. Nous contribuons chaque jour à une société plus inclusive, en agissant au service de la raison d’être du groupe : mieux grandir, mieux vivre, mieux vieillir.
2. Les Services d'Aide à Domicile "Nouvelle Génération" (Modèle Intégré)
Ces acteurs sont avant tout des prestataires d'aide à domicile (SAAD), mais ils ont digitalisé le métier et intégré la fonction de Care Manager au cœur de leur offre pour se différencier des acteurs traditionnels. Ici, la coordination est "gratuite" ou incluse dans le prix horaire de l'auxiliaire de vie.
- Ouihelp : Ils mettent en avant le "Responsable de Secteur" comme un véritable Care Manager qui gère tout pour la famille (recrutement de l'auxiliaire, planning, administratif). C'est leur argument de vente principal face aux associations.
- Alenvi (Compani) : Un modèle qui valorise l'auxiliaire de vie ("l'auxiliaire d'envie"). Leur approche est très communautaire, le cadre de vie est géré de manière participative.
- Amelis: Positionnement premium avec une forte promesse de coordination et de réactivité 24/7.
- Petits-Fils : Modèle de franchise très répandu qui promet "le même auxiliaire de vie tout le temps" et un conseiller dédié (le franchisé agit comme care manager).
3. Les Réseaux d'Indépendants et Franchises
C'est le modèle que YesHome tentait en partie d'explorer ou qui émerge pour les indépendants.
- Jama Care : Un réseau de franchise qui tente de déployer des "Care Managers" indépendants sur le territoire.
- Ama Campus : Organisme qui forme des indépendants au métier de Care Manager, créant de facto un réseau informel de freelances qui se lancent en solo.
4. Les Solutions Technologiques (Support au Care Management)
Elles ne remplacent pas le coordinateur mais sont des outils utilisés par les familles pour "s'auto-manager" ou surveiller à distance.
- Zoe Care : Détection de chute et d'activité via le Wi-Fi (sans caméra ni bracelet).
- Presage Care : Solution prédictive (IA) utilisée par les professionnels pour anticiper les hospitalisations en fonction des données de vie quotidienne.
- Famileo / Sunday : Pour le maintien du lien social (gazette papier, partage de photos sur la TV), brique essentielle du "care" émotionnel.
5. Le Service Public et Associatif (Gratuit)
Il ne faut pas oublier les acteurs historiques vers qui les familles se tournent en premier, faute de budget pour le privé.
- DAC (Dispositifs d'Appui à la Coordination) : Organismes publics qui gèrent les "cas complexes". C'est le care management public, souvent saturé mais gratuit.
- CLIC (Centres Locaux d'Information et de Coordination) : Le point d'entrée local pour l'information (niveau 1 du care management).