Une Mise en Œuvre Hétérogène sur le Terrain

L'étude qualitative menée sur onze territoires met en lumière une application contrastée du CEJ. L'offre de services des opérateurs et les contraintes territoriales induisent une grande hétérogénéité dans la mise en œuvre.
  • Répartition des Heures : Plus de la moitié des heures déclarées correspondent aux démarches personnelles des jeunes (candidatures, recherches de formation). Le reste concerne les entretiens avec les conseillères, la participation à des ateliers, ou des expériences professionnelles.
  • Interprétation Variable : Face à l'exigence du quota, les conseillères des Missions locales adoptent des postures variées. Certaines se limitent strictement aux actions orientées vers l'emploi immédiat, tandis que d'autres valorisent une gamme plus large d'activités, comme l'obtention du permis, ou parfois même des rendez-vous médicaux ou l'aide à un proche. Cette latitude repose largement sur l'expertise et la subjectivité des professionnelles.

Une Relation d'Accompagnement en Profonde Mutation

L'obligation horaire génère des effets structurels qui modifient la relation entre les conseillères et les jeunes.
  1. Effets sur l'Accès et l'Administration
    1. Effet de Sélection : La "motivation" et l'"autonomie" deviennent des prérequis implicites à l'entrée, conduisant certains jeunes à renoncer rapidement au dispositif.
    2. Charge Administrative Accrue : La comptabilisation, la validation et la saisie informatique des heures accaparent une part importante du temps des conseillères, les détournant de leur mission relationnelle. Dans certains territoires, des tableaux de bord affichent les résultats des conseillères en fonction de l'atteinte du quota, renforçant la pression.
  2. Tensions et Contre-Productivité
    1. Relation Réglementée : La co-production hebdomadaire de la preuve d'activité régente les échanges. Certains jeunes perçoivent ce suivi comme intrusif.
    2. Risque de Démoralisation : L'injonction à multiplier les candidatures peut s'avérer contre-productive. Le fait d'essuyer "30 refus par semaine" constitue une épreuve difficile pour les jeunes, selon le témoignage d'un conseiller.
Le CEJ opère une moralisation implicite de la "bonne" recherche d'emploi. L'accompagnement oscille constamment entre aider/rendre autonome d'une part, et appliquer les règles/contrôler d'autre part.
Les chercheurs suggèrent qu'une adaptation progressive du nombre d'heures pourrait mieux tenir compte des réalités des jeunes les plus éloignés de l'emploi pour optimiser l'accompagnement. Des travaux quantitatifs d'évaluation par la DARES sont attendus pour mesurer l'intensification réelle de l'accompagnement par rapport à la Garantie jeunes.


Le CEJ, un tremplin pour les métiers du Service à la Personne ?

Le secteur des services à la personne (SAP), et particulièrement celui du maintien à domicile, est structurellement en forte demande de recrutement, mais souffre d'un déficit d'attractivité et de formation.
Le Contrat d'Engagement Jeune pourrait constituer un levier essentiel pour orienter les bénéficiaires vers ces carrières. En effet, la flexibilité dans l'interprétation des 15 à 20 heures d'activités hebdomadaires permet aux conseillères de valoriser l'immersion professionnelle ou des formations courtes et qualifiantes (comme le Titre Professionnel d'Assistant de Vie aux Familles - ADVF).

L'expérience sur le terrain révèle que les stages, les Périodes de Mise en Situation en Milieu Professionnel (PMSMP), ou même l'inclusion de prérequis sociaux (comme l'obtention du permis de conduire, souvent indispensable pour ces métiers) peuvent être comptabilisés. Ces activités concrètes et encadrées, centrées sur le savoir-être et l'utilité sociale, peuvent transformer le quota horaire en une véritable période d'acculturation et de pré-recrutement pour des jeunes éloignés de l'emploi, offrant ainsi une réponse aux besoins cruciaux du secteur du maintien à domicile.