Les sources de la colère des soignants

Des missions de plus en plus complexes

Selon l’enquête de la DREES (Direction de la Recherche des Etudes de l'Evaluation et des Statistiques) de 2016, les conditions de travail des soignants exerçant dans les Ehpad (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) ont changé sous l’effet de l'évolution récente des profils de résidents.

En effet, l’enquête souligne que l’entrée en établissement apparaît comme la dernière étape du parcours de vie, lorsque les possibilités du maintien à domicile sont épuisées. Souvent, elle ne correspond pas à un choix mais plutôt à la conséquence d’autres facteurs comme : la perte de l’aidant, une hospitalisation, une chute, l’avancée dans la maladie, etc. Dans ces conditions, l’entrée en Ehpad manque de préparation et d’anticipation de la part du senior concerné. En résultent des évolutions importantes en ce qui concerne le public des Ehpad : des usagers plus âgés (80% des résidents ont 80 ans ou plus en 2011), entrant plus tardivement en institution (84 ans et 9 mois ans en 2011 contre 83 ans et 10 mois en 2007), caractérisés par un niveau de dépendance plus élevé.

Du fait de ces changements, les personnels soignants relèvent un alourdissement de leur charge de travail et, par conséquent, une modification de leurs conditions de travail. En effet, les tâches à réaliser dépendent directement du public accueilli et impactent les conditions de travail. Si l’accompagnement des personnes âgées dans les gestes de la vie quotidienne a toujours été le cœur du métier de soignant en Ehpad, les missions de ces professionnels se sont au fil du temps davantage concentrées sur des tâches de soin, de nursing et d’hygiène de base, au détriment de l’accompagnement relationnel, humain et du maintien des capacités. Certains professionnels jugent ainsi leur charge de travail et les cadences plus lourdes du fait d’une proportion plus importante de résidents pour lesquels des gestes de soins techniques ou de nursing sont requis. Ces mêmes gestes sans cesse réalisés (toilettes au lit, transferts, etc.), la station debout prolongée, les nombreux déplacements (effectués entre les chambres et les services), les postures inconfortables mais aussi, la manutention des résidents (lever, porter, déplacer) inhérents à la perte de mobilité des résidents, entraînent une pénibilité physique prononcée. 

Aux portes de la démotivation ? 

La surcharge de travail qui en découle entraîne immanquablement une dégradation des conditions de travail car le personnel ne peut plus s’occuper comme il se doit des résidents. Dans certains Ehpad, on parle même de “maltraitance institutionnelle”.

A la pénibilité physique, s’ajoute la pénibilité mentale. En effet, les personnels soignants sont confrontés au quotidien à la souffrance et à la mort. Ils ne sont pas non plus à l’abri de subir des agressions verbales et physiques provenant des résidents eux-mêmes (souffrant de sénilité ou de troubles mentaux) ou des membres de leur famille.

D'après l'étude de la DREES, la question de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle représente également un enjeu important pour les professionnels des Ehpad du fait des horaires décalés, des plannings irréguliers, des urgences, du travail le week-end ou la nuit, etc. Le décalage fréquent vis-à-vis de la société dans son ensemble et de la famille en particulier constitue une source de difficultés et d’épuisement pour les professionnels. Dans les faits, les établissements s’attachent toutefois à laisser une importante marge de manœuvre pour permettre aux équipes de favoriser cette conciliation.

Du fait de la complexité des tâches à effectuer, de la charge de travail et de la lourdeur de leurs fonctions, les infirmiers au même titre que les soignants estiment en grande majorité que les rémunérations sont insuffisantes. Un salaire attractif est indispensable pour motiver le personnel en place, assurer leur fidélité mais aussi, attirer et susciter des vocations. Et pourtant, relève l’étude la DREES, malgré des salaires jugés faibles, c’est le sentiment d’importance de la mission accomplie auprès des personnes âgées qui pousse le personnel soignant à poursuivre dans le secteur. 

Quid des mouvements de grève ? 

Les contestations dans un Ehpad de Loire Atlantique, un rassemblement qui fera mouche ? 

Le 30 janvier 2018, les aides-soignants, les directeurs d’Ehpad et les personnels des Ehpad s’étaient fortement mobilisés lors d’une journée de grève nationale et de manifestations inédites organisées par Force Ouvrière  (FO) et six autres syndicats de la santé et de l’action sociale. A l’époque, ils réclamaient déjà des moyens humains et financiers nécessaires pour exercer leur métier dans le respect de la dignité des aînés qu’ils soignent et qu’ils accueillent, indique FO. Moins de 5 ans plus tard, les personnels soignants des Ehpad qui se mettent en grève un peu partout en  France n’en peuvent vraiment plus. Ils sont à bout. Ils n'ont de cesse de réclamer le recrutement d’effectifs soignants qualifiés, une valorisation de leurs métiers et, une augmentation effective de leurs salaires.

Le personnel soignant de l’Ehpad Accueil de la côte de Jade, à La Plaine-sur-Mer (Loire-Atlantique)  s’est mis en grève partielle le mardi 10 janvier, manifestant avec les résidents de l’établissement. Les infirmières, les aides-soignants, les agents de services hospitaliers de l’Ehpad étaient une vingtaine pour protester dans les rues. Les revendications sont toujours les mêmes. Eliane Garot, une aide-soignante déplore le manque de considération de son métier qui se traduit par un faible salaire. "On fait des études, il y a une école pour faire aide soignante. C’est un métier où on côtoie un tas de choses difficiles. La mort, les excréments, la douleur, le soutien des personnes... Et on n'a pas l’impression d’être payés à la juste valeur" déclare t-elle pour France 3 Pays de La Loire. Le manque de personnel est également pointé du doigt. Mégane André, aide-soignante, semble désappointée : “J’ai fait ce métier pour accompagner les gens au mieux, pour être dans l’humain. Et là, il n'y a plus rien d’humain” regrette t-elle.

Comme dans la plupart des mouvements de grève initiés par les personnels soignants des Ehpad, les directeurs de ces établissements les soutiennent. C’est le cas de Guillaume de Dieuleveu, le directeur de l’EHPAD de L'Accueil de la Côte de Jade. Il estime que les engagements sur la revalorisation salariale suite au Ségur de la santé n’ont pas été totalement honorés par le gouvernement. "Je demande à l'État qu'il tienne ses promesses sur le Ségur, par exemple qu'il finance bien les établissements sur le Ségur 1. Ça représente 238€ brut par personne avec les charges qui vont avec. Moi j’affirme qu’il me manque 20 000€ sur ce budget. Ce qui est versé ne correspond pas au nombre de personnels dans mon établissement" dénonce Guillaume de Dieuleveu. Même problématique pour la prime mensuelle Grand âge. Selon le décret du 20 janvier 2020, cette prime a vocation à reconnaître l'engagement des professionnels exerçant auprès des personnes âgées et les compétences particulières nécessaires à leur prise en charge. La prime a été versée en priorité aux aides-soignants officiant dans les établissements publics et aux établissements membres de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs dont l’Ehpad de L'Accueil de la Côte de Jade ne fait pas partie. Ainsi, une fraction des aides-soignants ne bénéficie pas de la prime Grand âge. Guillaume de Dieuleveu s’insurge : “Cette prime, si elle est nécessaire pour le public, pourquoi est-ce qu'elle ne serait pas nécessaire pour le privé ?” Et de poursuivre pour le Courrier du Pays de Retz : “Il nous manque 20 000€ pour payer cette prime et 20 000€  pour verser la part de prime Ségur non financée.”  La prime Grand âge est pour l’instant puisée en partie dans la trésorerie de l'établissement. Cette situation ne peut être que temporaire. 

Le personnel soignant de l’Ehpad de L'Accueil de la Côte de Jade compte bien reconduire des actions similaires dans les prochains mois et aussi manifester aux côtés d’autres établissements de la région afin de se faire entendre de la classe politique mais aussi de l’ensemble de la population française. 

Des mouvements qui s’accentuent et qui (se) rassemblent 

Depuis 2022, les mouvements de grève et les débrayages dans les Ehpad de France et de Navarre sont de plus en plus nombreux. A titre d’exemple, le lundi 24 avril dernier, le personnel de l'Ehpad des Jardins du château d'Aiffres (géré par le groupe Médicharme) dans les Deux-Sèvres, se mettait en grève pour deux jours. Le manque de personnel, le défaut de  formations qualifiantes ou diplômantes et, une augmentation de salaire de l’ordre de 5 à 10%  sont au cœur des revendications et de ce mouvement. Sandrine Fournier, secrétaire générale de la section santé de la CGT 79  déclarait aux micros de France Bleu Poitou : "Comme dans la grande majorité des Ehpad, on n'arrive plus à recruter, les établissements prennent des gens qui ne sont pas diplômés et ça entraîne des négligences sur les résidents. Ici, sur 25 équivalents temps plein il y a 2 titulaires diplômés, le reste sont des faisant fonction”.

“Les salariés n’en peuvent plus de ne pas pouvoir exercer correctement leur travail par manque de moyens. Nous craignons pour la santé et la sécurité des personnels fatigués et épuisés par la dégradation des conditions de travail. Nos salaires sont en berne et nos qualifications sous-rémunérées” indiquait un communiqué de presse de la CGT appelant le personnel des 15 Ehpad (regroupant 750 salariés) gérés par l’association Anne-Boivent à Fougères, à débrayer pendant une heure et se rassembler à 16h30 devant la sous-préfecture le jeudi 22 septembre 2022. Elisabeth Chavoix, déléguée CGT et salariée dans un de ces Ehpad se désole pour Ouest-France de la faiblesse des salaires : “Dans les établissements privés comme le nôtre, la convention collective n’a pas été revue depuis 1951. Avec la hausse du Smic, les aides soignants sont désormais payés en dessous du salaire minimum”. Paradoxalement, par manque de personnel, les Ehpad ont recours à l’intérim, ce qui pèse très lourd sur leurs finances : “Les établissements sont confrontés à un gros manque d’infirmiers et d’aides soignants. Ils font appel à des cabinets extérieurs et des boîtes d’intérim, ce qui coûte très cher” poursuit-elle.  Enfin, Elisabeth Chavoix pointe le manque de qualification du personnel soignant : “les infirmiers sont remplacés par les aides soignants et ces derniers sont remplacés par du personnel qui n’est souvent pas qualifié, manquant d’expérience et, parfois, de motivation. Cette situation nous met en difficulté et entraîne des erreurs, notamment médicamenteuses, dans la prise en charge des personnes”. 

Un peu plus tôt dans l’année, les soignants, le personnel et les familles des Ehpad publics Les Escales au Havre manifestaient eux-aussi, dénonçant les conditions de travail difficiles et le manque de moyens (humain et financier) défavorables aux résidents. On relèvera des revendications et une mobilisation similaires de la part des salariés de l'Ehpad La Bastide du Mont Vinobre, à Saint-Sernin en Ardèche le mardi 25 avril dernier. Bis repetita pour les salariés de l'Ehpad Villa Evora, à Chartres et plus récemment, les membres du personnel de l’Ehpad Korian Château des Ollières à Nice.

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