Le point sur le décret 

L’abandon de poste est caractérisé dès lors qu’un salarié quitte volontairement son poste de travail sans autorisation de son employeur ou encore, s'absente de manière prolongée ou répétée sans justificatif pendant ses heures de travail. Avant l’entrée en vigueur du décret du 18 avril 2023, un abandon de poste par un travailleur donnait lieu à un licenciement ou à une rupture anticipée de CDD pour faute grave ou lourde. Il pouvait alors toucher l’assurance chômage.

Désormais selon le décret, à compter du 19 avril 2023 (date effective de son entrée en vigueur), le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence dans le délai de 15 jours fixé par l’employeur, et ce par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. Il ne pourra plus prétendre de facto à l'assurance chômage.

La présomption de démission ne s’applique pas dans les cas où le salarié fait valoir, en réponse à la mise en demeure, des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait prévu à l'article L. 4131-1 du Code du travail, l'exercice du droit de grève prévu à l'article L. 2511-1 Code du travail, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur,

L’étude de la DARES vient-elle conforter la mise en place de l’article 4 de la loi Plein Emploi ? 

Selon une étude de la DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques) publiée au mois de février 2023, au premier semestre 2022, les abandons de poste dans le secteur privé seraient le premier motif de licenciement pour faute grave ou lourde (71%) devant ceux de nature disciplinaire (27% - en majorité des violences, des comportements déloyaux ou d’insubordination). Cela représente 123 000 salariés, dont 116 000 en CDI.

Ces chiffres sont toutefois à relativiser puisque les abandons de CDI ne représentent que 5% de l'ensemble des fins de CDI contre 43 % pour les démissions, 12% pour les ruptures conventionnelles, 12% pour les fins de périodes d'essai, 11% pour les autres licenciements.

Par ailleurs, dans les trois mois suivant le licenciement de CDI pour faute grave ou lourde du fait d’un abandon de poste, 55 % des individus s’inscrivent à Pôle emploi et, seuls 43% ouvrent un nouveau droit à l’assurance chômage, ce qui représente environ 50 000 personnes. 
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Une mesure qui ne fait pas l'unanimité

Les organisations syndicales sont vent debout contre ce décret. Dans un communiqué de presse du 19 avril 2023, la CGT s’en prend au décret comme au gouvernement, déclarant : “En instaurant une présomption de démission, le gouvernement prive les salarié(e)s licencié(e)s, à la suite d’un abandon de poste, du droit aux indemnités chômage, pendant au moins quatre mois (...) Cette mesure est complètement déconnectée de la réalité du travail. Le gouvernement croit faire la chasse aux fraudeurs accusés d’abandon de poste seulement pour arrêter de travailler et bénéficier des allocations chômage au soleil ?”

Selon la CGT, les abandons de poste ne sont pas une simple lubie de salariés ne souhaitant pas travailler. Ils trouveraient leur source dans des conditions de travail difficiles. En effet, dans son communiqué la CGT énonce les faits suivants : “l’Unedic constate que la plupart des abandons de poste sont dus à des conditions de travail dégradées, des salaires trop bas, des situations de harcèlement. Abandons qui touchent principalement les jeunes (78% ont moins de 40 ans) et les moins diplômés (52% sont sans diplôme ou titulaire d’une CAP / BEP). L’Unedic estime également que plus de 20% des abandons de poste sont à l’initiative de l’employeur. La CGT affirme que cela leur évite d’avoir à porter la responsabilité d’un licenciement ou d’une rupture conventionnelle, et d’économiser ainsi les indemnités afférentes.”

Maître Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux, ne cautionne pas non plus l’article 4 de la loi Plein Emploi. Selon elle, il génère “une insécurité juridique pour les employeurs qui n’ont pas accueilli cette réforme par des applaudissements, ils sont restés silencieux.” Pour le site Juritravail, l’avocate qui s’est exprimée sur le sujet quelques jours avant le vote du décret d’application de l’article 4 de la loi, évoque plusieurs situations susceptibles de mettre à mal la présomption d’abandon de poste comme celle-ci : “il suffit simplement que le salarié n’ait pas justifié de son absence ou qu’il en ait justifié et que l’employeur ne l’ait pas reçu (un mail perdu dans les spams par exemple). Un salarié peut contester son licenciement dans ce cas en indiquant qu’il souhaite réintégrer son poste car il a la preuve qu’un recommandé a été envoyé, n’a pas été réceptionné par l’employeur ou encore que la lettre s’est perdue ou que le mail justifiant son absence a été envoyé. Il obtiendra gain de cause et sera réintégré. Par ailleurs, le salarié pourra argumenter en affirmant qu’il n’avait pas l'intention de démissionner, l’employeur vivra donc avec une épée de Damoclès sur la tête pendant toute la durée de la prescription.”

Michèle Bauer rejoint l’avis de la CGT en affirmant que “l’abandon de poste était souvent le dernier recours pour les salariés en souffrance au travail qui ne voulaient pas démissionner. C’était également une possibilité pour l’employeur et le salarié de se quitter en y trouvant chacun son compte : le salarié pouvait bénéficier des allocations pôle emploi et l’employeur ne payait pas l’indemnité de licenciement ni l’indemnité de préavis.”

L’avocate se montre plutôt pessimiste et un brin railleuse, “avec cette présomption de démission ne donnant pas droit au chômage, gageons que les arrêts maladie se multiplieront et qu’une prochaine étude de la DARES constatera l’augmentation des licenciements pour inaptitude. L’employeur et le salarié seront perdants : l’employeur devra l’indemnité de licenciement et devra gérer les absences du salarié malade. Les relations de travail seront beaucoup plus tendues, les salariés qui voudront à tout prix être licenciés pourraient avoir l’idée d’injurier leur employeur pour obtenir le graal (l’attestation Pôle emploi) avec un licenciement pour faute grave."

Selon Michèle Bauer, “ce texte a été adopté pour séduire une certaine partie de la population qui stigmatise les chômeurs. C’est un texte qui en pratique sera une usine à gaz si les salariés saisissent le conseil de Prud’hommes qui ne pourra d’ailleurs jamais statuer dans le délai d’un mois comme il est indiqué. Les conseils de Prud’hommes sont à l’agonie comme toutes les juridictions, le manque de moyens ne permettra pas la rapidité. Le salarié sera dans la plus grande précarité dans l’attente d’une décision du conseil de Prud’hommes qui se fera attendre. Pendant le temps de la procédure, le salarié sera sans indemnités puisque sans attestation Pôle emploi lui donnant droit au chômage."

Et de conclure : “en plus d’être juridiquement aberrant, ce texte  est inutile et manque réellement de rigueur.” 

Retrouvez dans notre FAQ les démarches administratives à effectuer par l'employeur en cas d'abandon de poste.