Une flambée de postes vacants
Les Ehpad face aux difficultés de recrutement
En 2018,
l’enquête EHPA de la DREES révèle que la France compte 7400
Ehpad (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes). Ces établissements spécialisés proposent 600 400 places d’hébergement et emploient plus de 430 000 personnes. Toutefois, 44% des Ehpad déclarent rencontrer des difficultés de recrutement.
Ces difficultés ont des répercussions directes sur les soins, le confort et le bien-être des résidents dans la mesure où elles sont susceptibles de faire fonctionner la structure en sous-effectif, de façon plus ou moins durable. C’est le cas pour 63 % des structures déclarant des difficultés de recrutement, qui ont au moins un poste non pourvu depuis six mois ou plus.
Les postes les plus concernés sont ceux des aides-soignants et des médecins coordonnateurs. Ainsi, 10 % des Ehpad ont un poste de médecin coordonnateur non pourvu depuis au moins six mois. De plus, 9% des établissements ont au moins un poste d’aide-soignant non pourvu depuis au moins six mois. Le recrutement des infirmiers pose moins de problème, car seulement 4% des établissements confrontés à des problèmes de recrutement ont un ou plusieurs postes d’infirmiers non pourvus depuis six mois ou plus.
L’enquête de la DREES souligne que les Ehpad les plus confrontés aux difficultés de recrutement sont principalement localisés dans les aires urbaines isolées (en milieu rural).
Pourquoi une telle désaffection des professionnels de la santé dans les Ehpad ?
Comme l’enquête de la DREES l’a montré, les postes d’aides-soignants et de médecins coordonnateurs sont les plus recherchés par les Ehpad. Jean-Pierre Riso, le président de la Fédération Nationale des Associations de Directeurs d’Etablissements et Services pour Personnes Agées (FNADEPA) apporte une explication des plus clairvoyante sur ces problématiques de recrutement : “A la sortie de l’école, les jeunes diplômés préfèrent s’orienter vers des spécialités qui leur paraissent plus valorisantes que l’accompagnement des personnes âgées dépendantes”.*
Par ailleurs, les professionnels de santé qui officient dans les Ehpad parlent de
pénibilité au travail, de
stress, de
pression et de
dévalorisation de leur profession. En effet, le travail de soignant nécessite de nombreuses contraintes d’ordre physique comme maintenir durant de longues heures la station debout et manipuler les résidents (les soulever, les transférer, les porter, les laver, les vêtir…). Au quotidien, ils effectuent des mouvements répétitifs, sont exposés à la violence de certains résidents mais aussi aux risques d'infections ou au sang… Sur le plan psychique, les professionnels doivent faire face à des situations humaines difficiles comme la perte d’autonomie de leurs résidents, la gestion de la fin de vie, les démences, les maladies neurodégénératives.
Ces mêmes professionnels de santé pointent du doigt le manque de moyens humains alors que les pathologies des patients sont de plus en plus lourdes. L’espérance de vie s’allongeant, les résidents sont de plus en plus âgés. Ils sont également susceptibles de développer diverses maladies plus ou moins invalidantes. Les personnels demandent de passer davantage de temps avec eux, temps qu’ils n’ont pas.
Dans une
étude qualitative sur les conditions de travail dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes menée en 2016 par la DREES, les propos de plusieurs aides-soignantes sont rapportés. Ainsi, Lucie, une aide-soignante âgée de 49 ans semble désappointée. Elle déclare : “Les résidents se rendent bien comptent du stress et du manque de temps qu'on a à leur consacrer, ce qui détériore parfois la relation qu'on a avec eux. Certains professionnels avouent d'ailleurs qu'ils sont maltraitants. On refuse des mises aux toilettes”. Marine, une jeune aide-soignante de 28 ans, fait ce triste constat : “On a le sentiment de ne pas avoir le temps et la possibilité de faire bien les choses. C'est autant frustrant que décourageant.”
La
fatigue est également très présente chez les personnels de santé. Ils disent rencontrer des difficultés à se ressourcer lorsque le roulement ne laisse qu’un seul jour de repos par semaine. C’est essentiellement le cas lorsque l’organisation horaire retenue est structurée autour de journées continues et/ou coupées en 7h ou en 7h30.
Conséquences de tout cela ? Le taux d’absentéisme pour raisons de santé moyen en Ehpad serait 1,3 fois plus important que la moyenne constatée dans le secteur de la santé. L’indice de fréquence des accidents du travail serait deux fois supérieur à la moyenne nationale toutes activités confondues. Dès lors,
l’absentéisme impacte l’organisation du travail qui s'en trouve dégradée car, dans une perspective de continuité de service, la prise en charge du résident ne doit pas être interrompue. Le planning doit donc être revu pour remplacer l’absent. Ces situations entraînent une
augmentation du turn-over mais aussi un
désengagement du personnel et des problèmes de fidélisation à la structure.
Les métiers du grand âge n’attirent pas
Vers la fin annoncée des CDI ?
Au vu des conditions de travail susmentionnées, il n’est pas étonnant que les professionnels de santé privilégient les CDD et/ou les missions d’intérim. Pour
Hospimedia, Blandine Delfosse, présidente de la Fédération Française des Infirmières Diplômées d’Etat Coordinatrices (FFIDEC) établissait ce constat : “ de plus en plus de soignants en Ehpad préfèrent travailler en contrat à durée déterminée (CDD). Et ce choix n’est pas seulement le fait des plus jeunes (c'est-à-dire la génération Z née entre 1995 et 2010) mais tous les âges. D’autant plus que les rémunérations en CDD, comprenant une prime de précarité, sont plus importantes que celles des CDI. Dans les établissements, des personnels sous contrat déterminé peuvent assurer régulièrement des remplacements s’inscrivant ainsi dans une certaine fidélité d’emploi. Certains assurent ainsi les remplacements des périodes de congés. Ce serait une façon de supporter la charge de travail des Ehpad et l’image ingrate qui lui est associée. Ces professionnels en CDD gardent en quelque sorte la main sur leur organisation se garantissant des périodes de repos (parfois toutefois imposées ou voulues).”
Les avantages financiers de travailler en CDD et en intérim sont réels mais ne constituent pas une solution pérenne (tant sur les plans financier, organisationnel et humain) pour le bon fonctionnement d’un établissement. Et pour le
site Ehpa, Blandine Delfosse tend à déplorer une situation qui ne peut plus durer, déclarant : “il est bien plus rentable pour une aide-soignante d’être recrutée en CDD qu’en CDI, ces dernières n’hésitant pas à faire du nomadisme professionnel, ce qui fragilise grandement l’équilibre des établissements. Il faut d’urgence récompenser, pourquoi pas par le biais d’une prime au CDI, les salariées qui souhaitent s’inscrire dans la durée dans le projet de l’établissement.”
Lila une jeune infirmière de 26 ans qui a délibérément choisi de travailler en intérim affirme sans ombrage pour
Le Populaire du Centre : “Je préfère être celle qui remplace que celle qui subit ce remplacement. Le statut de fonctionnaire ou de salarié en CDI n’a rien d’enviable. Les équipes sont souvent tendues, fatiguées et sous pression, parce qu’elles manquent de bras, qu’elles sont rappelées sur leur jour de récupération.” Lila aspire à la liberté professionnelle que lui confère le statut d’intérimaire. L’argent n’est pas son principal moteur. Elle souhaite avant tout rester maîtresse de son planning. “Faire des nuits, bosser douze heures, travailler le dimanche, pourquoi pas, si la contrepartie est de pouvoir poser ses congés et ses jours de repos comme bon me semble.” ajoute t-elle. Lila n’a qu’un seul regret, une certaine forme de déshumanisation s’installe dans ses rapports avec ses patients comme ses collègues : “On n’a pas de liens avec les collègues, puisqu’on bouge tout le temps, et ça manque. Et on n’a pas de suivi avec les patients.” déplore t-elle.
Séduire la nouvelle génération de travailleurs : un impératif pour les Ehpad
Les métiers du grand âge en Ehpad souffrent d’une mauvaise image auprès des jeunes. Il est donc nécessaire de
donner envie à la génération Z hyper connectée, sans réelle attache professionnelle, en quête permanente de sens et de changement, de venir travailler en Ehpad. Lory Lequy, une jeune directrice d’Ehpad de 29 ans mène des actions concrètes pour attirer les jeunes. Pour le site
Ehpa Presse, elle parle de ce qu’elle a mis en place : “Suite à des partenariats avec des écoles et les missions locales, nous avons pu accueillir, au sein de notre équipe, des jeunes en reconversion qui ont souhaité découvrir nos métiers et s’y projeter. J’ai d’ailleurs une grande fierté pour notre équipe qui a su créer des vocations.” Lory Lequy sait également que pour attirer et fidéliser les jeunes issus de la génération Z, il est nécessaire de comprendre avant tout leurs attentes. “Notre posture managériale doit évoluer avec les nouveaux besoins de ces professionnels. Dans notre équipe, majoritairement constituée de jeunes collaborateurs, je constate que la notion de qualité de vie au travail et de reconnaissance sont importants pour trouver un équilibre et maintenir la motivation. Ils sont demandeurs d’être acteurs actifs dans le fonctionnement de l’établissement et ont besoin de feedback réguliers et de transparence pour avancer.”
N’omettons pas qu’il existe une
forte dimension humaine et sociale dans les Ehpad à mettre en avant et à valoriser auprès des jeunes. Malgré la dureté des tâches et des situations, les équipes de soins font un travail collectif et se montrent très solidaires rapporte l’enquête de 2016 de la DREES. La solidarité est revendiquée par les professionnels comme un fondement essentiel de leur manière de travailler. Les professionnels sont très attachés à ce dernier point, notamment parce que la qualité du service rendu constitue un déterminant primordial des conditions de travail. L’idée selon laquelle le collectif de travail doit être fort pour se mettre au service du résident est en effet largement répandue parmi les professionnels rencontrés.
Selon la même étude de la DREES, l’hôpital, à l’inverse de l’établissement d’hébergement, est souvent considéré par les professionnels comme étant une “machine” inhumaine, impersonnelle, froide. A contrario, l’Ehpad à leurs yeux, doit rester un lieu de vie chaleureux, où le résident comme le professionnel sont connus et reconnus. La revendication du caractère “familial” de l’établissement, et des enjeux de protection de cette dimension, est ainsi très fréquente. Elle l’est d’autant plus que l’établissement est de petite taille ou que les professionnels se reconnaissent dans un “historique”, voire une “histoire”, de l’établissement. Il est donc entendu que les professionnels développent un lien très fort en Ehpad avec leurs collègues comme avec leurs résidents.
A 49 ans, Virginie est infirmière en Ehpad privé depuis 8 ans. Elle dit être venue en Ehpad après avoir passé quelques années à l’hôpital. “Je n’avais pas un réel contact avec les patients. Les soins sont très techniques en réanimation mais finalement on ne connaît jamais les gens. En Ehpad, les résidents et les familles nous connaissent, ils ont besoin de nous. Ils sont déracinés donc ils ont besoin de repères. On est leurs repères. On se sent efficace et utile” déclare Virginie.
Pour séduire la jeune génération qui ne veut être soumise à aucune contrainte et, souhaite pouvoir parfaitement concilier vie privée et vie professionnelle (par exemple : pas de travail le week-end ou les jours fériés, plus de jours de repos, pas d’horaires à rallonge…), il est important voire primordial d’
améliorer les conditions de travail.
Pour l’illustrer deux exemples sont présentés dans l’enquête de la DREES : les temps de coordination et les nouvelles pratiques de management participatif.
Les temps de coordination correspondent au temps quotidien de transmission durant lesquels les informations essentielles concernant les résidents sont transmises au moment des relais entre deux équipes, mais aussi les réunions de synthèse ou d’équipe. S’ils sont régulièrement décrits comme manquant de cadre de référence (comment déterminer les informations devant faire l’objet d’une transmission et les restituer d’une manière synthétique) et sujets à débordement dans le temps, ils sont très majoritairement présentés comme indispensables à la qualité du travail fourni, mais aussi comme un moyen de (re)créer de la cohésion d’équipe et de donner du sens aux pratiques tout en valorisant le travail des professionnels.
Les
outils du management participatif pour associer les professionnels à des projets collectifs thématiques qui donnent lieu à des réunions de groupes de travail (comme sur la prévention de la maltraitance ou l’élaboration du projet d’établissement) ou à la consultation du personnel (en réalisant par exemple des enquêtes sur la qualité de vie au travail), sont valorisées par les professionnels. Ces pratiques favorisent une plus grande implication individuelle des professionnels dans la structure. Elles restent néanmoins minoritaires dans les établissements visités (pour les besoins de l'enquête) car elles requièrent des ressources souvent rares dans les établissements : du temps et une réelle impulsion au niveau de la direction ou de l’encadrement.
* Source :
Le Media Social Emploi.