C’est quoi être un directeur d’Ehpad aujourd’hui ? 

Des attributions nombreuses et variées

Être à la tête d’un établissement médicalisé exige une grande polyvalence et de la disponibilité. En effet, le directeur d'Ehpad assure la gestion d’un établissement sur tous les plans (humain, médico-social, technique, administratif et financier). Il est l'interlocuteur privilégié des familles dans la mesure où sa mission première est de garantir la qualité de l’accueil, la prise en charge, le bien-être et la sécurité des résidents. Il est le garant du bon fonctionnement de l’établissement dont il a la gestion, dans le respect des bonnes pratiques et du cadre réglementaire. Il gère et encadre des équipes pluridisciplinaires (le personnel technique, les soignants, les médecins, les animateurs, les intervenants extérieurs etc.) tout en étant à leur écoute. C’est à lui de recruter le personnel, de gérer les formations et les salaires.

Il est le seul responsable de la gestion technique, comptable, administrative et financière de son Ehpad en s’assurant que l’établissement se conforme bien aux attentes des instances de tutelle (soit l’Etat). En cas de défaillance, il sera tenu pour seul responsable. C’est aussi lui qui assure le lien avec la presse mais aussi, les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et les prescripteurs médico-sociaux. Il crée également son réseau territorial et développe des partenariats sur lesquels il s’appuie.

Les qualités humaines sont importantes voire primordiales pour un directeur d’Ehpad. Il n’est pas qu’un manager d’équipe, un technicien, un gestionnaire ou encore, un leader enfermé dans sa tour d’ivoire. Maryse Duval, directrice générale du Groupe SOS Seniors, déclarait à Le Media Social Emploi : “Nous gérons de l’humain, avec de l’humain et pour de l’humain (...) Il y a donc une charge émotionnelle importante pour le directeur de maison de retraite. Ce dernier doit avoir des qualités d’empathie, car il aura à gérer la relation avec les résidents de même qu’avec leurs familles”.

On remarquera que c’est une profession qui s’est féminisée. Pour Cadre de Santé, Pascal Champvert, président de l’Association des Directeurs au service des Personnes Agées (AD-PA) déclarait : “Le directeur est d’abord une femme (...) de dialogue, d’écoute, de communication envers les personnes âgées, les familles, les salariés, les intervenants externes… On ne peut travailler en établissement que si on s’intéresse réellement à la personne âgée. Le rôle du directeur est de considérer que la parole du vieux a de la valeur, si ce n’est plus que celle des plus jeunes, un défi dans une société où l’âgisme est mal repéré.” 





Une profession qui a changé suite aux nouvelles réglementations

Le métier de directeur et de directrice d'Ehpad a fortement évolué en 20 ans.  En 2014, pour le site en ligne Cadre de Santé, Richard Capmartin, directeur associé de Rc Human Recruitment cabinet de conseil et de recrutement des professionnels de santé relevait déjà :  “En l’espace de deux décennies à peine, le métier de directeur d’Ehpad a subi une métamorphose totale, passant du statut de gérant d’hôtel ou de pension de famille à directeur d’Ehpad avec un niveau d’étude supérieur exigé – de niveau 1 ou 2 suivant la taille de l’établissement – par les autorités de tarification et de contrôle.”

C’est un fait relevé dans le même article Cadre de Santé : au cours de ces dernières années, plusieurs éléments ont  fait évoluer les attributions dévolues au métier comme, le vote de plusieurs lois majeures (principalement les lois sur la décentralisation, loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale qui oblige notamment les établissement et services à apporter une offre de qualité, à affirmer et promouvoir les droits fondamentaux des bénéficiaires et de leur entourage), la volonté d’une véritable information à l’égard des personnes accueillies et de leurs familles, l’exigence d’une meilleure conciliation entre projet d’établissement et projets de vie des résidents en tenant compte d’une démarche d’individualisation croissante, le mouvement de regroupement entre établissements.

Mais aussi, en 2022, suite à la publication du livre d’investigation “Les Fossoyeurs”, rédigé par le journaliste indépendant Victor Castanet, qui a révélé des défaillances humaines, financières et stratégiques dans le fonctionnement de certains Ehpad privés du groupe Orpea, de nombreux décrets ont été pris pour contrôler ces établissements sur les plans financier et d’accueil des résidents. L’article Vers un renforcement du contrôle des Ehpad vous permettra d’en savoir plus sur ce sujet. 

Les difficultés auxquelles font face les directeurs d’Ehpad

Un silence pesant : les risques psychosociaux (RPS) affectent aussi les directeurs d’Ehpad

Serait-ce un signe de faiblesse que d’avouer pour un directeur d’Ehpad qu’il ne se porte pas bien, que sa santé mentale est en berne ou encore, qu'il est au bord du burn-out ? On a coutume (depuis peu) de parler et de tendre progressivement à trouver des solutions adaptées au blues des employés mais, il existe comme une chape de plomb sur le mal-être des dirigeants. Dans la conscience collective, un haut dirigeant ou un haut cadre ne devrait-il donc pas avoir le droit de flancher ? Pourtant, c’est un être humain comme les autres qui subit aussi une forte pression en lien avec les responsabilités que lui confèrent son poste.

Des efforts ont toutefois été déployés pour donner la parole aux directeurs d’Ehpad. Les langues commenceraient-elles à se délier ? Ainsi, il y a 9 ans, le 23 janvier 2014 à Levallois-Perret, lors d’une table-ronde sur les directeurs victimes de risques psychosociaux (RPS) organisée par la GMF Assurances avec la Fédération Hospitalière de France (FHF), l’Association des Directeurs d’Hôpital (ADH) et l’Association pour le Développement des Ressources Humaines des Etablissements Sanitaires et Sociaux (Adrhess), les directeurs évoquaient avec force de détail la solitude de leur fonction. La rédaction de Weka et Hospimedia en ont retracé les moments forts. Ainsi, Danielle Toupillier, Directrice générale du Centre national de gestion (CNG) soulignait que : “La solitude paraît la plus criante chez les directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (D3S), pour lesquels le risque est majoré par l’isolement des Ehpad et autres hôpitaux locaux”. On en parlait déjà à l’époque : “aux conflits de personnes se greffent un harcèlement textuel de l’administration centrale, la multiplicité des contrôles, des réformes de santé appliquées à brûle-pourpoint et souvent mal ficelées”. Un directeur, qui est passé par ces problématiques explique : “Soit tu acceptes et tu t’en vas immédiatement ; soit tu attaques mais il faut être extrêmement fort ; soit tu subis en restant mais tu cours à la dépression ; soit tu te décides de rester, à faire le dos rond, et tu pars quand tu le souhaites.”

Il ne faut pas négliger les conséquences que peuvent avoir les RPS sur les directeurs d’Ehpad, notamment en termes de maladies cardio-vasculaires, de troubles musculosquelettiques, de troubles anxio-dépressifs, d’épuisement professionnel, voire de suicide peut-on apprendre sur le site de l'INRS. Sur le plan professionnel, ces troubles sont facteurs d’absentéisme, de dégradation de l’atmosphère au travail et de graves perturbations de fonctionnement de l’établissement. Les principaux concernés sont les résidents.

Lors de cette table ronde, Jean-Luc Chassaniol, le représentant des directeurs en difficultés pour l’ADH à l’époque, présentait plusieurs solutions pour prévenir les RPS comme par exemple, bien délimiter la sphère professionnelle de la sphère privée, la réappropriation du respect de l’autre (ne pas hésiter à s’excuser, y compris devant sa propre équipe de direction), rendre plus mobile les directeurs ou encore, procéder au suivi national des cas à risque. 

Les directeurs demandent à être entendus 

Aujourd’hui, beaucoup de directeurs d’Ehpad sont épuisés. Ils se sentent de plus en plus isolés et délaissés par le gouvernement. Jean-Pierre Riso, le président de la Fnadepa (Fédération Nationale des Associations de Directeurs d'Etablissements et Services pour Personnes Agées), l'une des principales associations de directeurs d'Ehpad, déclarait lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée au mois d’octobre 2022 : “Les vieux méritent mieux ! Nous alertons depuis des années sur cette situation, mais nous avons le sentiment de n'être jamais entendus, jamais prioritaires.” Et de poursuivre, “les maisons de retraite sont confrontées à des difficultés inouïes de recrutement et à l'épuisement des salariés en poste, une situation encore aggravée par le départ de nombreux professionnels. Et des difficultés économiques s'y sont ajoutées, dues à l'inflation et à la non-compensation intégrale par l'Etat des augmentations de salaire accordées aux salariés lors du Ségur de la Santé en 2020.”

Plutôt que se perdre dans l’élaboration de feuilles de route, mener des ateliers citoyens qui n’en finissent pas et s'enfoncer dans des consultations interminables, Jean-Pierre Riso, le président de la Fnadepa et les représentants du secteur demandent au gouvernement de prendre des mesures d’urgence. Jean-Pierre Riso réclame le “financement dès 2023 de 20 000 recrutements dans ce secteur, au lieu des 3 000 prévus dans le budget de la Sécu.”
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Trois témoignages édifiants qui reflètent la situation des directeurs d’Ehpad 

Le récit de Jean Arcelin sur son expérience avortée de directeur d’Ehpad

A l’occasion de la sortie de son livre “Tu verras maman, tu seras bien” paru en 2019 (XO éditions), Jean Arcelin, directeur d’un Ehpad dans le sud de la France pendant près de 3 ans, a accordé une interview en 2019 à 20 minutes. Ancien  directeur dans un grand groupe automobile de luxe, Jean Arcelin a décidé de tout plaquer pour se consacrer à la direction d’Ehpad. Dans un récit autobiographique, il parle de l’envers du décor des maisons de retraite où s’y côtoient des moments de joie comme des tragédies mais aussi de la course à la rentabilité qui se fait au détriment des résidents. Jean Arcelin a été le premier directeur d’EHPAD à témoigner dans un livre de son expérience.

Lors de son entretien, il assure au journaliste que “s’il y a des cas isolés de maltraitance dans les Ehpad, il a le plus souvent vu beaucoup d’humanité parmi les personnels. Il faut prendre en compte tout le système. Celui du cynisme des hiérarchies, de la rentabilité. Les aides-soignants ne sont pas suffisamment nombreux.”

“Pour la nourriture, le constat est le même” ajoute t-il, “il m’a toujours posé problème. Comment voulez-vous nourrir décemment quelqu’un toute une journée avec 4.35€ euros ? Est-ce normal ? Surtout quand vous faites payer jusqu’à 3 000€ par mois à vos pensionnaires.”

L’expérience de directeur d’Ehpad de Jean Arcelin a tourné court suite à un burn-out. Il confie : “Je voulais tellement réussir… Je pensais que je pourrais changer les choses. Je faisais moi-même des animations. Je me suis beaucoup intéressé au recrutement des personnels. J’ai même réussi à fidéliser des équipes, ce qui est assez rare dans le secteur. Puis, on s’épuise parce qu’on veut des postes en plus, qu’on vous refuse. Et, chaque jour, vous ne savez pas ce qui va vous tomber dessus. Je pleure très rarement, j’ai été plutôt élevé à la dure, mais un matin, après un énième incident, je me suis réveillé avec les larmes aux yeux. Je n’arrivais pas à sortir du lit. C’est un de ces accidents, encore un, qui m’a fait partir. J’ai craqué. Je prends encore des somnifères alors tout ça est derrière moi depuis deux ans.”

A la question, toujours d’actualité, du journaliste : le manque de moyen est-il une fatalité ? Jean Arcelin répond en toute franchise : “Il y avait 1.4 million de personnes dépendantes en 2018. Il y en aura 5 millions en 2050. Je suis assez stupéfait de voir que l’Etat subventionne tous les Ehpad, qu’ils soient publics ou privés, à hauteur de 35%, à travers des aides, et qu’il ne récupère jamais ces subventions alors qu’il y a des entreprises bénéficiaires.”  

Le cri d’alarme de Virginie Schaible, une directrice d’Ehpad dépitée par la situation 

Virginie Schaible est la directrice d’un Ehpad situé à Bischheim (dans le Bas-Rhin). Pour franceinfo, elle dénonce, au même titre que plusieurs de ses confrères, une situation intenable et alarmante pour les Ehpad. Virginie Schaible se dit désemparée. "Parce que la situation des Ehpad est dramatique. On court à la catastrophe et malgré cela il n'y pas de réaction de la part des services publics. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été voté la semaine dernière et rien ne se dégage quant au financement des Ehpad qui est basé sur un modèle complètement obsolète" déclare t-elle.

"Les difficultés auxquelles on doit faire face sont ingérables et multiples : la crise énergétique, l'inflation et la crise des vocations. On a d'abord comme tout le monde la crise énergétique en ligne de mire. On a eu 2% d'augmentation sur les prix de séjour, donc à la charge des résidents, à partir du 1er octobre, accordés par la collectivité européenne d'Alsace (CEA) mais ce ne sera, de loin, pas suffisant pour absorber les surcoûts. Et pour l'instant rien n'est mis en œuvre concernant un éventuel bouclier tarifaire dans notre secteur. Il y a le problème de l'inflation. Notre secteur d'activité est fortement affecté, qu'il s'agisse des dispositifs médicaux ou des denrées alimentaires. Tous nos achats sont touchés par ce phénomène d'inflation. Et surtout on est face à une crise des vocations qui fait suite à la crise sanitaire. Cette crise se révèle aujourd'hui vraiment ingérable. On ne parvient plus du tout à faire de recrutement. J'ai des postes vacants dans ma structure que je n'arrive pas à pourvoir. Aujourd'hui, pour réussir à tourner sans dégrader la qualité de prestation aux résidents je dois avoir recours à l'intérim. Cela représente une brèche énorme au niveau de mon budget que je ne parviens plus du tout à tenir. Si je veux sauver la structure, il faut que je m'interroge sur le moyen de faire des économies et je ne vois pas trop comment je peux faire. Arrêter de recourir à l'intérim ça veut dire fermer des lits. En plus de ça, on a créé des inégalités de traitement au niveau des salariés : certains touchent des primes, d'autres n'en touchent pas, la prime grand âge par exemple. C'est vraiment défavorable par rapport à la notion de recrutement” déplore Virginie Schaible.

Danny Forster, un directeur d'Ehpad pas comme les autres

A seulement 27 ans, Danny Forster est directeur d'un Ehpad privé de 60 lits en Eure-et-Loir. C’est une lueur d’espoir dans le ciel brumeux des Ehpad car ce jeune directeur a avant tout à cœur de changer les choses. L’été dernier, Danny Forster racontait son parcours professionnel assez atypique aux Echos. Après avoir passé le concours d’aide-soignant puis enchaîné plusieurs contrats en intérim dans les Ehpad (en alternant avec des soins à domicile), bien que pleinement épanoui dans son travail, il fait un constat amer : “manque de moyens, manque de considération de la direction pour le personnel qui n'était pas heureux, manque d'animations pour les résidents qui payent pourtant un tarif exorbitant. Je suis alors dans ce qu'on appelle un Ehpad mouroir. Je me fais alors une remarque : Voilà ce qu'on promet à mes parents.”

Pour faire bouger les lignes, Danny Forster décide de devenir directeur d’Ehpad. Et pour mener à bien son projet, il reprend les études puis postule. C’est ainsi qu’il est embauché par un groupe de maisons de retraite. Fort de son expérience d’aide-soignant,  Danny Forster comprend le quotidien du personnel : “j'essaie d'être un directeur proche des personnes. J'aime m'investir dans les animations. Il m'arrive de danser avec les résidents, de les mener faire les courses. Plus rare, je peux faire moi-même des toilettes s'il vient à manquer du personnel... Dans la gestion de l'établissement, je suis épaulé par un directeur adjoint et 37 personnes à temps plein pour s'occuper des résidents. Je pense que mon expérience d'aide-soignant est un atout dans mon poste. Je sais ce que vit le personnel et je connais à la fois son implication et la lourde charge au quotidien qui leur incombe. Sans soignants, la maison de retraite ne tourne pas. Aujourd'hui, les Ehpads souffrent d'une mauvaise image et je peux le comprendre. J'ai pu connaître un aide-soignant seul pour 14 résidents. Je ne veux pas cela dans mon Ehpad. Les familles ont toutes à l'esprit le scandale Orpéa et elles me posent systématiquement la question de la maltraitance avant de nous confier l'un de leurs aînés. Bien sûr, nous non plus, nous ne sommes pas parfaits. Il peut y avoir des plats pas toujours très bons mais on essaie de se remettre en question (...) Il y a bien sûr des choses difficiles que j'aime moins, comme la partie administrative, la quantité de normes et de protocoles à prendre en compte (...).”

Ces 3 histoires, ces 3 témoignages de directeurs en poste et ayant démissionné montrent bien-là, la complexité de ce métier, les petits bonheurs et les difficultés auxquelles ils doivent faire face au quotidien. Rien d’étonnant à ce qu’une étude récente de la Fnadepa révèle que 43% des directeurs d’Ehpad envisageraient de démissionner.

Pour aller plus loin :