Des contrôles, des contrôleurs et des contrôlés

Un contrôle renforcé des EHPAD dès 2022

Suite à la publication du livre-enquête "Les Fossoyeurs" de Victor Castanet, qui dénonçait il y a un an tout juste, un système de maltraitance des aînés et un manque de transparence des mouvements financiers des établissements du groupe d’EHPAD privés Orpea, le gouvernement a décidé d’agir. Ainsi, dans le courant de l’année 2022, a été lancé un vaste plan de contrôle des EHPAD pour une durée de 2 ans sur l’ensemble du territoire français (DOM-TOM y compris), ce qui représente pas moins de 7500 établissements.

Entre février et juillet 2022, 400 contrôles ont été effectués. A ce jour, près de 1400 inspections-contrôles ont été réalisés, dont 811 sur site (soit 59%). C’est un tournant dans les processus de contrôle puisqu’auparavant, les EHPAD étaient contrôlés tous les 20 ans en moyenne seulement. 

Une formation adéquate pour des équipes de contrôle plus nombreuses 

L’augmentation du volume de contrôle des EHPAD implique un renforcement des équipes des ARS (Agence Régionale de Santé). Elles ont été renforcées à hauteur de plus de 120 ETP (Équivalent Temps Plein) sur 2 ans, recrutés progressivement en 2022 et 2023.  Ces nouvelles recrues viendront appuyer les 2700 agents des ARS habilités à réaliser des opérations de contrôle. Au 31 décembre 2022 : 61.31% des 120 ETP de renforts ont été embauchés.

Avant de devenir contrôleur des ARS et intégrer l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique (EHESP) de Rennes, les candidats doivent en premier lieu passer un concours (interne, externe, voie réservée ou 3ème voie) leur permettant de devenir Inspecteurs de l’Action Sociale et Sanitaire (IASS) ou Médecins Inspecteurs de Santé Publique (MISP). Une fois admis, ils suivent une formation pour une durée de 15 mois.

Dans le cadre du Plan de contrôle des EHPAD, deux modules de formation spécifiques ont été ajoutés. Il s’agit de : 

  • La "Sensibilisation aux bonnes pratiques d’inspection contrôles" (sur place), qui concernent des agents déjà en place et nouvellement recrutés. Près de 300 agents ont été formés à ce module fin 2022. Il sera reconduit en 2023. 

  • La "Spécificité de l’inspection-contrôle en EHPAD". C’est un module de formation qui porte sur le contrôle budgétaire et comptable des groupes. Il est en cours de préparation avec l’EHESP pour outiller les agents sur ces aspects techniques. 

Premier bilan des contrôles menés en 2022 et ses conséquences 

Au 31 décembre 2022, 49 % d’EHPAD privés à but lucratif, 26% d’EHPAD privés non-lucratifs et 24 % d’EHPAD publics ont été contrôlés. Les manquements constatés lors de ces contrôles sont de différentes natures. 

  • En matière de gouvernance : absence de politique et de culture "qualité", non-conformité aux autorisations délivrées par les autorités, absence de projet d’établissement, absence de conseil de vie sociale, etc. 
  • En matière de prise en charge : absence de coordination interne sur la prise en charge, présence insuffisante de personnels sur certaines plages horaires, gestion des stocks et traçabilité des médicaments non conformes, non-respect de l’intimité des résidents en chambre double, dénutrition observée, etc. 
  • En matière de fonction-supports : manquement à la sécurité des locaux, hygiène, fort recours aux CDD, à l’intérim, absence de formation, etc.  
Au 31 décembre 2022, les contrôles menés par les agents des ARS ont donné lieu à 1800 prescriptions-injonctions et 2211 recommandations tous champs confondus (gouvernance, fonctions supports, prise en charge des résidents). 21 sanctions administratives (tous types confondus) ont été prises à l’encontre d’EHPAD. Il y a eu 11 saisines du procureur de la République, portant sur des situations de maltraitances non signalées ou des situations mettant en danger la sécurité des résidents. Ces mesures ont vocation à faire l’objet d’un suivi par les ARS et les Conseils départementaux le cas échéant, sur place ou sur pièces.

Comment se font les contrôles ?  

Deux types de contrôles ont été mis en place :

  • Les contrôles sur pièces (ou sur dossier) : les plus répandus puisque 80% des EHPAD y ont droit. Ce type de contrôle ou de vérification a ses limites puisqu’il ne permet pas de vérifier par exemple s’il y a des cas de maltraitance ou pas, si les condition d’hygiène et de sécurité sont bien respectées ou encore s’il y a une bonne mise en place des animations et des liens sociaux. Pour Ouest France, Dominique Chave, secrétaire général de l’Union Fédérale de la Santé Privée CGT souligne que “les contrôleurs des ARS ne sont pas armés face à des experts du maquillage financier” s’interrogeant sur le fait de détecter de la maltraitance à distance.
  • Les contrôles sur place représentent (seulement) 20% des contrôles. Les inspecteurs se rendent dans les établissements en cas d’irrégularités ou de signalements.
Toutefois, cette répartition n’est pas stricte et écrite dans le marbre. Elle s’adapte dans les ARS selon les résultats de l’analyse des risques effectuée sur la base des pièces notamment. Le taux d’inspection sur site peut donc varier en fonction des situations locales. En 2022, on constate que plus de 50% des contrôles ont été réalisés sur place, ce qui est supérieur aux 20 % recommandés, précise la Direction générale de la cohésion sociale. 

Sur la voie de la transparence financière

Les nouvelles mesures financières 

Afin de prévenir les dérives et abus susceptibles de survenir au niveau des groupes gestionnaires d’EHPAD, notamment privés commerciaux, des mesures législatives et réglementaires ont été prises dès le mois avril 2022 pour renforcer la transparence financière des établissements, en complément des mesures déjà existantes à la disposition de l’Etat, des ARS et des départements de contrôle des EHPAD.

Selon la Direction générale de la cohésion sociale, ces nouvelles mesures permettent de mieux repérer les détournements de fonds publics, renforcer les moyens de sanction des autorités de contrôle et la récupération des indus, lutter contre les pratiques commerciales trompeuses ou abusives.

Ainsi, depuis le 28 avril 2022, dans le cadre du décret n°2022-734, les gestionnaires des EHPAD doivent : 

  • Inscrire les montants des rabais, remises et ristournes obtenus sur les achats et prestations, en recette dans le budget au bénéfice des EHPAD
  • Etablir une comptabilité analytique distincte pour chaque EHPAD attestée par un commissaire aux comptes lorsqu’un même organisme commercial en gère plusieurs, notamment pour connaître l’utilisation précise des dotations publiques et disposer d’informations sur la composition des marges et la nature des flux financiers
  • Transmettre un bilan comptable par établissement et service, avec les documents de clôture d’un exercice comptable
  • Produire les documents complets comprenant les sections hébergement non financées sur fonds publics 
Toujours dans un souci de transparence, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2023 (article 62) a créé de nouvelles dispositions pour ces établissements : 


  • Les EHPAD ont désormais l’obligation de demander l’accord de l’ARS et/ou du Conseil départemental pour pouvoir signer des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) à la place des établissements (entreprises privés) sur lesquels ils exercent un contrôle. 
  • Les EHPAD sont limités dans le temps dans l'usage des excédents faits sur les financements publics, et les autorités de contrôle ont la possibilité de les reprendre si ces financements ne correspondent pas à un besoin objectif de l’établissement, afin d’éviter des détournements de fonds publics. 
  • Les EHPAD ont l'obligation de transmettre une annexe en comptabilité analytique attestée par un commissaire aux comptes, sur les mouvements financiers entre les gestionnaires d’EHPAD à but lucratif, y compris les groupes et les EHPAD gérés, ainsi que sur l'utilisation des dotations publiques.
Les autorités de contrôle se voient quant à elles accorder plus de pouvoirs grâce à ces dispositifs :

  • Les ARS et les départements pourront désormais contrôler non seulement les comptes des établissements et services à proprement parler, mais également ceux des gestionnaires et des groupes qui les contrôlent (sièges). Cette disposition sera également applicable à l’IGAS, à l’IGF ainsi qu’à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes. 
  • La possibilité de recourir à des astreintes journalières lorsqu’un organisme contrôlé ne transmet pas les documents demandés à l’occasion de ce contrôle. 
  • Le recours à des sanctions financières dès que les règles budgétaires fixées par le code de l’action sociale et des familles (CASF) ne sont pas respectées. 
  • L’organisation des procédures de récupération des indus lors des contrôles de groupes de dimension nationale. Il est prévu que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) assure elle-même un recouvrement au niveau national, au profit des ARS et des départements.

Plus de transparence pour les résidents des EHPAD 

La Direction générale de la cohésion sociale estime que certains EHPAD privés commerciaux appliquent des tarifs d’hébergement peu lisibles voire mensongers. Les résultats des enquêtes 2019-2021 conduites par la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) vont dans ce sens.

En cas de non-respect de la réglementation, la DGCCRF dispose, à la fois dans le code de la consommation et dans le CASF (Code de l’action sociale et des familles), d’une large palette de sanctions administratives et pénales applicables en fonction de la gravité des faits constatés.

En 2021, le taux d’anomalie était de 58% : sur 293 établissements et prestataires externes contrôlés, 170 d’entre eux présentaient au moins une anomalie.

Les manquements portaient principalement sur : l'obligation d’information précontractuelle sur les prix (absence de communication des prix hébergement sur le site de la CNSA, absence totale de l’affichage ou affichage incomplet, sur site des "prix hébergement" et de la liste du socle de prestations) ; la formation des contrats et les clauses abusives et les pratiques déloyales (facturation illicite de frais de dossier, de frais de blanchisserie du linge alors que cette prestation est intégrée dans le socle de prestations, etc.).

Pour prévenir les abus commerciaux de certains EHPAD :  le décret (n°2022-734) du 28 avril 2022, renforce les obligations des EHPAD vis-à-vis des usagers à partir de 2023 avec une série de mesures :


  • Renforcement de la lisibilité des contrats de séjours : précision de la liste des prestations minimales, mention de l’évolution des prix des prestations ;
  • Ajout des prestations au socle des prestations obligatoires des EHPAD, notamment : l’accès à internet dans la chambre, le marquage et blanchissage du linge personnel ;
  • Renforcement des dispositions pour les EHPAD en cas de départ ou de décès ou d’absence par l’encadrement des conditions de remboursement des arrhes ;
  • L’obligation de transmettre cinq indicateurs qui seront ensuite publiés sur un site en ligne gouvernemental. Il s’agit de : la composition du plateau technique (équipements) ;  le profil des chambres : individuelles, doubles ou supérieures à 2 lits ;  le nombre de places habilitées à l'aide sociale à l'hébergement (ASH) ;  la présence d'un infirmier de nuit et d'un médecin coordonnateur ;  le partenariat avec un ou plusieurs dispositifs d'appui à la coordination des parcours de santé.  
Des dispositions réglementaires permettant d’appliquer certaines décisions prises dans la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 seront prises au printemps.

Source principale : Dossier de presse de la Direction générale de la cohésion sociale