Nous relayons le Communiqué de presse de la FNEJE

Des personnels NON formés dans les établissements d’accueil du jeune enfant : nous disons NON !

Le 29 juillet dernier paraissait enfin l’arrêté tant attendu relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant.

Tant attendu parce que cela faisait un an qu’il était en discussion avec les acteurs du secteur dont la FNEJE. Lors de cette discussion, nous avons alerté et expliqué au ministère que le contenu présenté allait une nouvelle fois vers la dégradation des conditions d’accueil de la petite enfance.

Nous avons fait des propositions afin d’éviter le pire. Force est de constater que nous n’avons pas été entendus sur l'ensemble des points de désaccord.

Pourquoi ne sommes-nous pas d’accord ?

D’abord parce que ce texte vient définitivement entériner la réforme des modes d’accueil contre laquelle nous avons lutté pendant trois ans avec le Collectif Pas de Bébés à la Consigne.

Ensuite, parce qu’il répond à une urgence de pénurie de professionnel.le.s par le seul prisme des gestionnaires et non par celui des jeunes enfants et des professionnel.le.s qui en ont la charge.

Enfin, parce qu’il vient dire officiellement que l’accueil de la petite enfance, tout compte fait, ce n’est pas si compliqué puisqu’il ne faut pas de formation !

Petits rappels socio-historiques :

  • Les professionnel.le.s de l’accueil de la petite enfance sont à plus de 90% des femmes ;
  • Ce sont particulièrement des femmes parce que dans notre pays avec une forte pression patriarcale, la prise en charge des jeunes enfants est dévolue aux mères ;
  • Même si on reconnaît le travail massif des femmes aujourd’hui, dans l’inconscient collectif “ les bébés seraient bien mieux avec leur mère qu’en accueil de la petite enfance ” ;
  • Dans notre société, qui dit majoritairement un travail de femmes dit bas salaires et invisibilité du travail. Il en est de même pour tous les métiers dits du “ lien ” social qui sont, dans la représentation collective, des métiers de vocations, où le don de soi est considéré comme naturel.

En ce qui concerne la pénurie des professionnel.le.s de la petite enfance :

  • Elle est structurelle : départs à la retraite non anticipés (essor des crèches parentales dans les années 80, non renouvellement des assistant.e.s maternel.le.s, peu d’ouverture de places en formation professionnelle) + ouverture exponentielle de structures collectives ces 15 dernières années sans se soucier de savoir si la population professionnelle était en capacité de répondre à la demande + non revalorisation des salaires/traitements + conditions de travail en inadéquation avec le contenu de nos formations + ouverture à la concurrence, transformation du secteur de la petite enfance en marché spéculatif + non reconnaissance politique de nos métiers.
  • Elle est conjoncturelle : le COVID a révélé une situation déjà problématique avant mars 20202 car les protocoles à mettre en place du jour au lendemain, la réquisition des EAJE et des assistant.e.s maternel.le.s pour les enfants de soignant.e.s sans aucune reconnaissance ni politique ni financière (cf. prime ségur) a découragé et fait fuir une grande majorité de professionnel.le.s vers d’autres métiers ou secteurs d’activité.

Une fois tout cela dit, on peut en effet affirmer que ce dernier arrêté vient mettre un coup fatal au moral des troupes.

Que dit l’arrêté par rapport à celui de 2000 modifié en 2018 ?

1- On passe de 13 à 17 diplômes ou certifications professionnelles pouvant exercer dans les 60% dits des professionnel.le.s “ qualifiés ” ! Si la 1ère qualification ne pose pas de problème puisqu’il s’agit des personnes titulaires du CAP AEPE, les autres questionnent. Et elles questionnaient déjà avant puisque dans les faits, la quasi totalité des personnels d’accueil collectif dits “ qualifiés ” sont des titulaires du CAP AEPE !

Elles questionnent parce que ces formations n'ont pour la plupart aucun lien avec la petite enfance si ce n’est d’être des formations qui permettent de travailler dans le secteur sanitaire, médico-social et éducatif.

Dans ces 17 formations possibles, nous trouvons par exemple des aide-soignant.e.s avec un an d’expérience avec des jeunes enfants ou encore toutes les personnes exerçant ou  ayant exercé des fonctions de direction ou de direction adjointe en EAJE comme prévu dans la réforme, par exemple les professeurs des écoles ou tou.te.s nos collègues travailleur.euse.s sociaux.ales (CESF, assistant.e.s de service social, éducateur.trice.s spécialisé.e.s). 

Dans cette liste est prévu un alinéa qui permet d’embaucher des personnes justifiant d’une expérience professionnelle de 3 ans auprès d’enfants dans un établissement ou un service type EAJE. 

Cet alinéa était déjà prévu en 2000 et maintenu en 2018 mais l’expérience demandée était de 5 ans. Pourquoi cet alinéa en 2000 ? Tout simplement parce qu’à l’époque, de nombreuses équipes d’accueil collectif avaient en leur sein des personnes non diplômées mais qui travaillaient depuis longtemps dans les structures collectives. En effet, faute de modes d’accueil de la petite enfance dans les années 80-90, des collectifs de parents ont créé des crèches dites à gestion parentale avec notamment des professionnel.le.s non formé. e.s. Il n’était pas question en 2000 que ces personnes se retrouvent sans emploi à cause d’un nouveau cadre réglementaire.

Par contre vingt ans après, à l’heure de nos connaissances, il n’est plus tolérable que les décideurs politiques facilitent davantage le recours aux professionnel.le.s qui n’ont pas de formation spécifique petite enfance.

Pour autant, si l’arrêté s’en tenait à ces premières dispositions, nous ne serions pas en train d’écrire ces lignes. Mais non, le gouvernement va encore plus loin.

2- Un article est ajouté stipulant que dans un contexte local de pénurie de professionnels visés par le premier article (donc si les 17 formations/certifications listées ne suffisent pas !), il est possible de déroger : « des dérogations aux conditions de diplôme ou d'expérience fixées à ce même article peuvent être accordées en faveur d'autres personnes, en considération de leur formation, leurs expériences professionnelles passées, notamment auprès d'enfants, leur motivation à participer au développement de l'enfant au sein d'une équipe de professionnels de la petite enfance et de leur capacité à s'adapter à un nouvel environnement professionnel ».

Ce texte nous indique qu’il faut tout de même demander l’accord au Conseil Départemental et qu’il faut prouver le contexte de pénurie. Mais qui va avoir le temps de contrôler ? Pas les services de PMI, c’est certain puisqu’ils n’ont déjà pas les moyens, malheureusement, d’exercer correctement leurs missions !

Enfin, il indique aussi que ces personnes doivent bénéficier d’un accompagnement via un parcours de 120h, chapeautées par le responsable de la structure d’accueil. Comme si les responsables de structure avaient aujourd'hui le temps d’assurer l’accompagnement de ces personnes alors que ce temps est déjà extrêmement contraint par le cadre réglementaire, les exigences exponentielles des financeurs dont les CAF, l'organisation du travail du collectif et l'accueil des familles et leurs enfants...

Est-ce à ce point méconnaître leurs conditions de travail ?

Par ailleurs, ces personnes, pour beaucoup éloignées de l’emploi et donc en situation de fragilité, vont se retrouver probablement dans des équipes en difficultés et épuisées par le manque d’effectifs qui n’auront donc pas le temps de les accompagner et dont en plus ce n’est pas le métier. Car accompagner des personnes éloignées de l’emploi demande des compétences spécifiques comme des conseillers en insertion ou autres.

Ne pas mettre les moyens dans l’accompagnement de ces personnes, c’est non seulement mettre davantage des équipes en situation d'épuisement mais aussi mettre en échec ces personnes qui auront des conditions de travail difficiles et qui ne resteront pas.

La FNEJE est favorable à ce que des personnes qui le souhaitent rejoignent les rangs des pros de la petite enfance mais pas à n’importe quel prix. Il faut se donner les moyens de ses ambitions !

Enfin, on nous dit qu’il n’y aura qu’une personne bénéficiant de ce parcours en simultané dans les EAJE jusqu’à 60 places et jusqu’à 2 au-delà. Et que les personnes ayant bénéficié de ce parcours et n’ayant pas obtenu encore de formation certifiante ou qualifiante ne peuvent excéder 15% de l’équipe. Cela veut donc dire qu’une équipe peut enchaîner l’accompagnement des personnes en parcours d’insertion jusqu’à 15% de l’effectif moyen annuel chargé de l’encadrement.

Tout compte fait ça en fait du monde non formé dans les EAJE ! Et tout ça sans date limite de mise en œuvre puisqu’il sera très facile de dire qu’il y a toujours pénurie....

Alors deux arguments sont évoqués ici et là pour minimiser l’impact d’un tel arrêté sur nos métiers et les conditions d’accueil des enfants :

Le premier : “ c’est mieux qu’avant car on pouvait avoir jusqu’à 25% de personnels sans qualifications dans une équipe, maintenant ce n’est que 15% ”. C’est faux !

Il n'y a plus l'obligation d'avoir des professionnel.le.s avec une formation que nous reconnaissons comme minimale, à savoir les CAP AEPE. La règle des 75% de membres d'une équipe obligatoirement composée d'EJE, de puériculteur.trice.s, d'AP, d'infirmier.ère.s et de CAP AEPE n'existe plus.

Aujourd'hui, dans une équipe, parmi les 60% de qualifiés il ne pourrait y avoir que des aides soignant.e.s qui n'ont pas de formation spécifique sur le public accueilli. Et dans ces 60% sont comprises également les personnes en parcours d’insertion.

Au total une équipe d’EAJE peut être composée de :

  • 40% (diplômé.e.s)
  • + 45% (17 certifications ou formations listées dans l’article 1 de l’arrêté)
  • + 15% (« parcours insertion »).

CQFD

Le deuxième : “ le diplôme ne fait pas le professionnel, j’ai vu des personnes sans formation petite enfance bien plus professionnelles que certaines avec un diplôme ”. Alors là on touche le fond, c’est à se demander si ces personnes ont encore une connaissance fine du terrain et une vision éclairée de ce qu’est devenu le secteur ?

Bien sûr qu’un diplôme n’a jamais fait un.e parfait.e professionnel.le mais cela reste une première garantie d’un socle de connaissances, d’une première confrontation avec le travail par les stages, de remises en question par le retour en formation.

Dire cela, c’est ancrer une fois de plus dans l’inconscient collectif que nos diplômes ne valent rien, que nos métiers ne s’apprennent pas, qu’il n’y a pas besoin de compétences spécifiques, qu'après tout il suffit d’avoir eu des enfants pour pouvoir accompagner ceux des autres.

Serions-nous d’accord pour qu'une personne non formée devienne pompier du jour au lendemain ?

Confieriez-vous vos enfants à un maître-nageur sauveteur sans formation ? Confieriez- vous la construction de votre maison à une personne juste parce qu’elle est la reine des Legos ? Sommes-nous médecin généraliste parce qu’on sait se soigner un rhume ?

Bien sûr que non !

Alors pourquoi devrait-on confier nos bébés à des personnes qui n’en n’ont pas les compétences ?

Juste parce que les bébés sont dépendants des adultes et ne peuvent pas se défendre ? Juste parce qu’on a décidé, dans notre pays, 6ème puissance mondiale, que les enfants n’étaient pas une priorité?

Allons, un peu de sérieux. Défendre la cause des enfants et particulièrement les jeunes enfants, c’est ne pas accepter la situation dans laquelle nous sommes, c’est se battre pour qu’enfin les jeunes enfants, les familles et les professionnel.le.s qui les accompagnent soient véritablement pris en considération.

Pour plus d'informetions, lisez notre article Les personnes sans diplôme peuvent désormais travailler dans les crèches