Mercredi 13 juillet 2022 à 16h30 au Palais du Luxembourg, Bernard Bonne (Les Républicains – sénateur de la Loire) et Michelle Meunier (Socialiste, écologiste et républicain – sénatrice de la Loire-Atlantique), rapporteurs de la mission d'information sur le contrôle des EHPAD ont présenté les conclusions de leur rapport. Ils ont démarré leur présentation en soulignant que l'objectif n'était ni de faire de l'EHPAD bashing, ni de faire un réquisitoire sur Orpea car de nombreux acteurs sont concernés.
Suite à la publication de l'ouvrage " Les Fossoyeurs " de Victor Castanet, la commission des affaires sociales du Sénat a mis en place une mission d’information dotée de pouvoirs d'une commission d'enquête.
La commission a consacré ses travaux à la question du contrôle et, plus largement, à l'exercice du pilotage stratégique du secteur par l’État et les autorités de tarification.
Ces travaux font apparaître des lacunes dans le contrôle des établissements. Les limites de ces contrôles viennent de la réglementation mais aussi des moyens insuffisants qui y sont consacrés, alors que la présence de groupes privés lucratifs gestionnaires de plusieurs établissements n'a pas été prise en compte.
Outre le renforcement du contrôle (par des évolutions de la réglementation), le déploiement d'un pilotage par la qualité est indispensable à une meilleure prise en charge des résidents et une plus grande attractivité du secteur pour les professionnels.
Des mutations profondes du secteur devront enfin être envisagées car le nombre de places en EHPAD va fortement augmenter.
Les mesures proposées par le rapport
Voici quelques préconisations faites par Bernard Bonne et Michelle Meunier lors de la restitution.
Ils recommandent, entre autre, de mettre en place la loi sur le grand âge pour donner plus de moyens et d'éviter toute forme de maltraitance en mettant l'accent sur le recrutement, de donner plus de pouvoir à la CNSA qui pourrait coordoner les contrôles, de contrôler les groupes et plus seulement les établissements. Par exemple il existe des RFA (remise de fin d'année) qui sont remontées dans les groupes et qui peuvent détourner l'argent transmis dans les établissements.
Il semble indispensable de renforcer le contrôle et d'avoir un tryptique : encadrement, contrôle, sanction. Les sanctions pourraient aller jusqu'à la fermeture d'établissements.
Voici les propositions faites par les deux sénateurs :
- Proposition n° 1 : Étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement aux sièges des groupes privés lucratifs multi-gestionnaires d'Ehpad.
- Proposition n° 2 : Conclure une convention pluriannuelle d'objectifs entre la CNSA et chaque groupe privé lucratif multi-gestionnaires d'Ehpad.
- Proposition n° 3 : Fixer un taux maximum de prélèvement au titre des frais de siège.
- Proposition n° 4 : Clarifier les règles d'imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.
- Proposition n° 5 : Clarifier la réglementation et les attentes des autorités de tarification et de contrôle sur les imputations budgétaires et l'usage des excédents par les gestionnaires d'Ehpad.
- Proposition n° 6 : Plafonner le montant des crédits pouvant être mis en réserve.
- Proposition n° 7 : Étendre la compétence de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.
- Proposition n° 8 : Définir les actions préalables au prononcé de sanctions financières.
- Proposition n° 9 : Compléter la procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres que celles prévues par les textes.
- Proposition n° 10 : Attribuer des moyens supplémentaires aux autorités de tarification et de contrôle pour accroitre le nombre de missions d'inspections-contrôles dans le secteur médico-social.
- Proposition n° 11 : Créer un comité d'animation des contrôles au niveau national réunissant les directions d'administrations centrales et les caisses de sécurité sociale concernées, le défenseur des droits, afin de définir des orientations nationales et donner des impulsions aux réseaux déconcentrés.
- Proposition n° 12 : Décliner le comité d'animation des contrôles au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental, afin de coordonner les actions.
- Proposition n° 13 : Donner un droit d'opposition élargi aux autorités de tarification et de contrôle sur les transferts d'autorisation (et notamment en cas de vente).
- Proposition n° 14 : Prévoir le versement d'une redevance pour les Ehpad commerciaux (ou pour le rachat par une société commerciale).
- Proposition n° 15 : Encadrer l'évolution de l'offre privée lucrative par rapport à l'offre globale d'un département.
- Proposition n° 16 : Supprimer les dispositifs de défiscalisation pour les investissements immobiliers en Ehpad (ou les soumettre à des règles plus protectrices des petits épargnants et plus contraignantes sur l'entretien du bâti).
- Proposition n° 17 : Donner aux acteurs publics et privés non lucratif la possibilité de s'appuyer sur des professionnels pour les accompagner dans la gestion du patrimoine immobilier des Ehpad (foncières solidaires, OPHLM).
- Proposition n° 18 : Ouvrir les CVS à des personnes extérieures à l'établissement, telles des associations d'usagers agréées sur le modèle du secteur sanitaire.
- Proposition n° 19 : Créer un conseil national consultatif des personnes âgées.
- Proposition n° 20 : Prévoir une convention entre le conseil national consultatif des personnes âgées nouvellement créé et le comité d'animation des contrôles (cf. proposition n°5).
- Proposition n° 21 : Créer une conférence territoriale des personnes âgées.
- Proposition n° 22 : Se doter rapidement d'outils fonctionnels de signalement des événements indésirables graves en Ehpad.
- Proposition n° 23 : Imposer une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressée par les familles aux autorités tarificatrices et de contrôle.
- Proposition n° 24 : Examiner une loi grand âge visant à structurer un service public de la prise en charge de la perte d'autonomie répondant aux besoins et aux souhaits de la population.
Mieux lutter contre la maltraitance
Selon le président du conseil départemental de la Gironde Jean-Luc Gleyze, « les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l’ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares, même si elles sont aujourd’hui en augmentation. Nous observons une grande difficulté à recouper les informations pour analyser correctement les signaux faibles ».
Il faut augmenter les efforts pour faciliter la détection des situations problématiques graves en établissement et fiabiliser au plus vite la connaissance du problème par la finalisation des outils informatiques nécessaires. Il semble nécessaire de développer la culture du signalement dans les Ehpad comme le suggère l’ARS Île-de-France, cela pourrait faire l’objet d’une rubrique plus précise au sein des CPOM.
Les CVS pourraient contribuer à mieux diffuser la culture de prévention de la maltraitance, par une définition plus large des événements indésirables graves portés à leur connaissance, et par une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressée par les familles aux autorités tarificatrices et de contrôle.
Les Procédures de contrôle des EHPAD
L’Agence régionale de santé et les Départements sont les autorités de tutelle des EHPAD. A ce titre, ils gèrent les procédures de contrôle visant à garantir le respect de la loi, à détecter des risques pour la santé et la sécurité des résidents et à mettre en conformité les établissements.
Des missions d’inspection sont menées dans les EHPAD tout au long de l’année par l’ARS et les Départements, y compris pendant la crise sanitaire.
Les contrôles peuvent venir de réclamations ou de signaux de toute nature parvenus à la connaissance de l’ARS et des Départements. Les résidents des EHPAD et leurs familles peuvent transmettre des réclamations à l’ARS.
Les effectifs des ARS ont chuté de 15 % ces dernières années et le contrôle n'était pas prioritaire.
Le rapport Libault
Le rapport remi en mars 2022 par Dominique Libault considère que l’objectif ne doit pas être de remettre en cause les choix de gestion des acteurs mais de les amener à traiter ensemble les sujets à la frontière du social, du médico-social et du sanitaire.
D’après ce rapport, la gouvernance territoriale de la politique de l’autonomie pourrait être refondée au sein d’une conférence territoriale de l’autonomie (Cotea), dont les missions seraient les quatre blocs d’actions d’un « service public territorial de l’autonomie » : réaliser un diagnostic des besoins ; définir une stratégie départementale répondant aux besoins, sur la base d’un cahier des charges national ; animer les dynamiques partenariales locales, par exemple en matière de prévention, ou pour organiser des sorties d’hospitalisation ; et établir à cette fin une programmation des projets et des financements associés, tout cela, sous le pilotage de la CNSA.
Le début de l’année 2022 a été marqué par le tumulte médiatique provoqué par la publication de l’ouvrage de Victor Castanet, « Les Fossoyeurs ». Même si l’ouvrage a d’abord eu pour objectif de dénoncer les comportements d’un groupe en particulier, il a provoqué une véritable déflagration dans l’opinion publique. Plus que jamais, au-delà même du secteur commercial, ce sont l’ensemble des Ehpad qui ont pu se sentir injustement mis en cause.
Cette situation est d’autant plus injuste que les professionnels de l’aide aux personnes âgées ont eu à faire face depuis des mois à deux crises majeures : la crise sanitaire de 2020 d’abord durant laquelle les équipes furent plus dévouées et impliquées que jamais ; la crise de recrutement qui a pris ces derniers mois une proportion telle dans tous les secteurs d’activité, que nombre d’entreprises ne trouvent plus en nombre suffisant les personnels nécessaires. Notre secteur n’est pas épargné.
Face à cela, celles et ceux qui font métier d’accompagner les plus âgés et les plus fragiles d’entre nous seraient en droit d’attendre plus de solidarité et de soutien. Or, bien au contraire, les Ehpad ont été trop souvent ces derniers mois cloués au pilori par les médias et parfois malheureusement par certains responsables politiques.
C’est dans ce contexte qu’en ce début d’été est sorti un Rapport sénatorial dit Bonne-Meunier. J’ai suivi ces travaux avec d’autant plus d’attention que je fus moi-même en qualité de présidente de Colisée auditionnée par la commission sénatoriale.
Un Rapport qui alterne entre des recommandations pertinentes que nous soutiendrons et un climat de défiance envers le secteur privé commercial que je considère regrettable. Les erreurs ou dérives de certains ne peuvent occulter le remarquable travail réalisé par les opérateurs privés depuis 30 ans qui ont contribué aux côtés de leurs confrères publics ou associatifs à améliorer grandement l’offre médico-sociale dans notre pays.
Il faut donc désormais se tourner résolument vers l’avenir pour refonder le lien de confiance entre les français et leurs Ehpad. C’est le principal défi qui se pose aux nouvelles équipes gouvernementales et législatives qui arrivent. Nous avons voulu ici vous présenter les acteurs qui nous trouveront à leurs côtés dès la rentrée de septembre pour imaginer l’avenir.
En attendant, nous souhaitons de bonnes vacances à ceux qui pourront en prendre mais surtout bon courage à toutes les équipes qui durant ces semaines estivales et caniculaires auront une nouvelle fois à assumer, dans les Ehpad comme à domicile, une mission aussi essentielle que difficile.
Affaire, bombe, déflagration, onde de choc, pavé dans la mare, point de non-retour, scandale, chacun choisira l'expression, les mots, qui lui permettent de nommer les révélations contenues dans le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, et la dénonciation de certains comportements, mais tous s'accorderont pour souligner l'importance de ce livre et la cascade de commentaires et réactions qu'il a provoqués.
L'émotion légitime suscitée par la publication de cet ouvrage a déclenché une réponse institutionnelle. Le Gouvernement a commandé une enquête sur les faits allégués à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale des finances. La commission des affaires sociales du Sénat a décidé de mettre en place une mission d'information dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Cette commission d'enquête s'inscrit dans un travail d'analyse des politiques de soutien à l'autonomie poursuivi par la commission des affaires sociales du Sénat depuis plusieurs années.
Les travaux de la commission d'enquête ont dû trouver leur voie entre les missions d'inspection commandées par le Gouvernement et dont le résultat a été rendu public fin mars, d'éventuelles suites judiciaires à ces travaux, ou aux révélations de M. Victor Castanet, et les travaux (auditions et rapports flashs) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. L'enquête sur la prise en charge médicale dans les Ehpad réalisée par la Cour des comptes, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, présentée le 23 février 2022 a constitué la première étape du travail de la commission d'enquête.
Dans un registre différent, ce rapport de la Cour des comptes raconte une histoire moins passionnée mais proche du tableau que dresse Victor Castanet de la situation des Ehpad : dégradation de l'état de santé des résidents, niveau d'encadrement insuffisant tant pour le personnel soignant que non soignant, défaut d'attractivité des métiers du grand âge et leur cortège d'effets sur la prise en charge des résidents, flux financiers insuffisamment encadrés, pilotage stratégique insuffisant.
Ces travaux font apparaître les lacunes du contrôle : tant dans leur fréquence, un contrôle tous les 30 ans selon la Cour des comptes que dans leur ciblage. En effet, la priorité accordée aux contrôles portant sur la maltraitance des résidents, si elle est justifiée, a pour effet de reléguer au second plan le contrôle exercé sur les groupes assurant la gestion de plusieurs établissements et sur l'utilisation des fonds publics (section soins et dépendance) et privés (section hébergement).
Aussi la commission d'enquête a-t-elle fait le choix de se placer dans une perspective plus large que l'affaire Orpea pour se consacrer, comme l'enquête de la Cour des comptes l'y engage, à une réflexion plus large et plus approfondie sur les modalités de contrôle et plus largement sur l'exercice de la tutelle afin de contribuer à la détermination des évolutions législatives et réglementaires à mener sur ces points.
Cette contribution s'inscrit dans la continuité du travail d'analyse entamé par la commission depuis plusieurs années, en outre elle ne sera pas limitée par le déclenchement éventuel de poursuites judiciaires.
Ce positionnement permet à la fois de se saisir de problèmes qui connaissent une brûlante actualité (contrôle des groupes et du forfait hébergement) et d'en aborder d'autres qui nécessitent un traitement approfondi comme le déploiement d'une approche pilotée par la qualité, qu'il s'agisse de financements, de management, de formation initiale ou continue.
Ces thèmes, et plus largement celui de l'exercice de la tutelle (voir les critiques formulée par la Cour des comptes sur l'utilisation de contrats d'objectifs pluriannuels ou CPOM) constituent le coeur des travaux de la commission d'enquête.
Une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour venir en soutien des personnels qui prennent en charge les résidents (recrutement, formation, attractivité), répondre aux enjeux de la transition démographique (vieillissement de la population, développement de solutions hybrides de prise en charge), combler les lacunes de la réglementation et examiner, enfin, une loi grand âge attendue depuis trop longtemps.
Je suis heureux de lire, entre ces lignes, qu’il semble d’intérêt d’imaginer qu’un « service public territorial de l’autonomie » se construisant et s’instruisant dans une volonté d’amélioration de la qualité et de l’efficacité du maintien à domicile.
Et qu’avant de penser aux façons de résoudre les problèmes en EHPAD, les réflexions sur le sujet avancent et ce aussi afin de préserver que de tels problèmes se reproduisent en maintien à domicile.
Reynald Fleury – Enfant de parent en perte d’autonomie et spécialiste en intégration d’usage du numérique en aides technique et de coordinations des soins.