Un phénomène silencieux, une réalité ignorée

Le vieillissement des personnes en situation de handicap intellectuel est un phénomène aussi réel que silencieux. Vingt ans après la loi handicap de 2005, la mobilisation associative reste vive pour rappeler l’urgence de rendre la société réellement accessible, tant sur le plan physique que dans l’accompagnement au quotidien. Longtemps ignoré des politiques publiques, il fait aujourd’hui l’objet d’une mobilisation croissante du tissu associatif. L’Unapei, fédération d'associations de défense des droits des personnes handicapées intellectuelles, a consacré son 65ème congrès national, tenu en juin 2025, à cette question majeure mais trop peu traitée : que devient-on quand on vieillit avec un handicap ? 

La réponse, aujourd'hui, est glaçante. D'après un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2023, 60 % des demandes d'accompagnement à domicile n'aboutissent pas, tandis que 40 % des demandes d'entrée en établissements spécialisés sont refusées. Faute de solutions, des familles sont contraintes d'accepter des placements par défaut en EHPAD, à l'hôpital ou, de plus en plus souvent, en Belgique. 

« Il n'y a pas de solution toute faite », rappelle la Cour. Mais il y a urgence à construire des réponses structurelles. 

Un vieillissement précoce et spécifique

Chez les personnes en situation de handicap intellectuel, l’avancée en âge commence souvent dès 40 ou 50 ans. Elle s’accompagne de nouveaux troubles, parfois méconnus ou mal pris en charge. Or, le système actuel reste conçu pour des logiques segmentées : le handicap d’un côté, la vieillesse de l’autre. 

Pour Luc Gateau, président de l'Unapei, le constat est clair : « Les pouvoirs publics n'ont pas suffisamment anticipé cette réalité. Il est urgent de bâtir une politique globale, ambitieuse, et de soutenir les solutions déjà existantes sur le terrain. » 

Besoin d'aide à domicile ?

Sept recommandations pour un véritable virage sociétal

L'Unapei formule sept propositions concrètes pour adapter la société à cette réalité démographique et sociale : 

  1. Développer une offre d'accompagnement adaptée à chaque âge de la vie, en domicile, en ESMS, en EHPAD.
  2. Former tous les professionnels au repérage des signes de vieillissement et à l'accompagnement de la fin de vie.
  3. Assurer la coordination entre médico-social, sanitaire, social et gériatrique.
  4. Promouvoir l'autodétermination des personnes concernées.
  5. Anticiper la retraite des travailleurs d'ESAT et ses impacts sur le quotidien.
  6. Soutenir les proches aidants, eux-mêmes vieillissants.
  7. Instaurer une politique du handicap cohérente, chiffrée et financée. 

Ce socle permettrait de sortir d’une logique d’urgence permanente et d’offrir aux personnes concernées un parcours de vie digne, fluide, et respectueux de leurs choix. 

Cette logique d’inclusion à tous les âges de la vie rejoint également les efforts portés en matière d’emploi, comme en témoigne le partenariat entre Oui Care et l’Agefiph  pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées d’ici 2027. 

Des initiatives locales inspirantes

Sur le terrain, des structures innovent. 

Dans les Deux-Sèvres, l’Adapei 79 a créé une maison d’accueil qui s’inspire d’un petit quartier, où les personnes âgées en situation de handicap vivent dans un environnement convivial, porté par un projet personnalisé co-construit avec leurs proches. Une équipe mobile y accompagne également les personnes vivant à domicile, en lien avec les acteurs de la gérontologie. 

Des évolutions institutionnelles sont néanmoins attendues, à l’image de la réforme des MDPH prévue pour 2025, qui vise à améliorer l’accueil et l’orientation des personnes handicapées tout au long de leur parcours. 

L’APEI Seine & Mer a lancé le CLLUB, un dispositif pour les travailleurs d’ESAT de plus de 50 ans, combinant loisirs, soutien administratif et stimulation cognitive. Elle a aussi adapté un programme de mémoire avec une neuropsychologue et proposé un hébergement en mode partagé, comme tremplin vers de nouvelles étapes de vie. 

Dans le Calvados, l’Apaei des Pays d’Auge et de Falaise réserve 15 places d’hébergement aux anciens travailleurs d’ESAT ayant arrêté leur activité pour raisons de santé. Un accueil de jour vient compléter l’offre. 

Enfin, dans le Nord, les Papillons Blancs de Roubaix-Tourcoing ont mis en place une équipe mobile spécialisée pour les personnes porteuses de trisomie 21 développant des symptômes de la maladie d’Alzheimer. Cette unité pluridisciplinaire agit en lien avec les familles et les professionnels de santé, adaptant les lieux de vie, le suivi médical, et le lien social des personnes concernées. 

Une responsabilité collective

La transition démographique actuelle pose une question essentielle : comment ne pas reproduire pour les personnes handicapées vieillissantes les erreurs déjà faites dans le traitement de la dépendance chez les personnes âgées ? 

Les solutions existent, sur le terrain, au sein d'associations, d'équipes médico-sociales, de familles investies. Mais elles restent isolées et sous-financées. Sans volonté politique forte, sans pilotage national clair et sans moyens pérennes, les initiatives resteront ponctuelles. 

Les chiffres sont sans appel, et les témoignages recueillis lors du congrès de l'Unapei renforcent une évidence : il ne s'agit pas d'une crise passagère, mais d'une mutation structurelle. 

Un contexte budgétaire tendu n’arrange rien, comme le montre le gel de 241 millions d’euros dans l’instruction budgétaire 2025, dénoncé par les acteurs du secteur pour son impact direct sur les publics les plus fragiles. 

Bâtir aujourd’hui les réponses de demain

Il est temps d’en finir avec les ruptures de parcours, les orientations par défaut et les familles livrées à elles-mêmes. L’avancée en âge des personnes en situation de handicap doit devenir un axe majeur des politiques de solidarité. 

Comme le souligne l’Unapei, il ne s’agit pas de créer un nouveau secteur, mais de mieux articuler les dispositifs existants, en les adaptant. La dignité, la continuité, le libre choix doivent devenir des priorités effectives. 

L’avenir d’une société se mesure aussi à sa capacité à accompagner les plus vulnérables jusqu’au bout du chemin. C’est le sens du combat porté par l’Unapei, et c’est une responsabilité qui nous engage toutes et tous. 

Pour aller plus loin...  

Découvrez notre podcast « Servez-vous » : La mission des Bobos à la ferme. Dans une société où les aidants jouent un rôle essentiel, il est primordial de les valoriser et soutenir. Dans cet esprit, Élodie D’ANDREA a imaginé un lieu unique où les aidants et leurs familles peuvent enfin souffler et se ressourcer.