Un virage domiciliaire sans volant

Dans un contexte de vieillissement de la population, de tension hospitalière permanente et de pression budgétaire accrue, la stratégie de la CNAM semble limpide : favoriser le retour à domicile des patients et renforcer la médecine ambulatoire. Le rapport Charges et Produits pour 2026 fixe des objectifs ambitieux : atteindre 80 % de chirurgie ambulatoire, déployer massivement le numérique en santé, renforcer la coordination des parcours. 

Mais derrière cette volonté affichée, un grand absent : les PSAD. Ces professionnels, qui accompagnent au quotidien plus de 4 millions de patients à domicile, ne sont mentionnés nulle part dans le document. Une omission qui fait grincer des dents dans la profession, et interroge sur la réelle cohérence du virage domiciliaire voulu par les autorités. 

Cette situation reflète une tension plus large : le secteur de l’aide à domicile traverse une crise structurelle, comme le souligne notre récente enquête  où nous alertons sur le risque d’effondrement sans réforme rapide et adaptée. 

Les PSAD, grands absents… mais indispensables

Acteurs de l’ombre du système de santé, les PSAD (prestataires de santé à domicile) sont pourtant incontournables. Ils assurent la continuité des soins à domicile pour les patients atteints de pathologies chroniques (diabète, BPCO, Parkinson…), en sortie d’hospitalisation ou en perte d’autonomie. En 2025, ils sont plus de 2 300 structures à opérer sur tout le territoire, avec 33 000 salariés, dont 6 500 professionnels de santé. 

« On parle de virage domiciliaire, mais sans ceux qui tiennent le volant. C’est comme vouloir faire décoller un avion sans pilote », ironise Amandine Bréjon, prestataire indépendante en Bourgogne-Franche-Comté, adhérente de l’UPSADI (Union des prestataires de santé à domicile indépendants). 

Leur rôle ne se limite pas à livrer des dispositifs médicaux : ils assurent l’installation, la formation du patient, la maintenance, et bien souvent le lien humain. Un maillon essentiel, oublié dans les schémas de réforme. 

La pertinence de l’intervention des PSAD a d’ailleurs été illustrée récemment lors des vagues de chaleur de l’été 2025, où ils se sont mobilisés en première ligne pour garantir la sécurité des patients à domicile. 

Numérique en santé : des outils sans bras

Le rapport CNAM fait du numérique un levier stratégique, à juste titre. Mais là encore, un paradoxe persiste : les PSAD sont largement exclus des dispositifs comme Mon Espace Santé, le Dossier Médical Partagé (DMP) ou les plateformes de coordination. 

« Nous voyons les patients au quotidien, parfois plus que les médecins eux-mêmes. Et pourtant, nous sommes exclus des outils de coordination numérique. C’est une absurdité logistique et une perte de chance pour les patients », déplore Stéphane Landreau, coordinateur chez un prestataire basé en Loire-Atlantique. 

Pourtant, les PSAD sont déjà équipés de solutions de télésuivi (glycémie, apnée du sommeil, nutrition artificielle…). Les intégrer aux outils nationaux permettrait un suivi plus fluide, une meilleure prévention, et une réduction des hospitalisations évitables. 

Une logique d’efficience… à géométrie variable

Autre sujet épineux : la régulation des dispositifs médicaux, en particulier la PPC (pression positive continue). Si les prestataires ne s’opposent pas à un encadrement intelligent, ils dénoncent une approche exclusivement tarifaire, perçue comme punitive et généralisée. 

Dans un communiqué commun, la FédéPSAD et l’UPSADI appellent à la nuance : « Réguler, oui. Fragiliser, non. La PPC n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une filière qui fonctionne, et qui permet déjà de contenir les dépenses tout en garantissant qualité et proximité. » 

La crainte exprimée est claire : à force de déconnecter les arbitrages budgétaires de la réalité de terrain, on risque de fragiliser un secteur efficient et utile. 

Des témoignages qui parlent d’eux-mêmes

L’effacement des PSAD du radar stratégique national n’est pas qu’une question de reconnaissance. C’est aussi, concrètement, une prise de risque. 

« Quand un patient sort de l’hôpital avec une pompe à insuline, une nutrition artificielle ou un respirateur, ce ne sont pas les algorithmes qui l’aident. Ce sont nos équipes, à 22h, à 5h du matin, dans les zones rurales comme en centre-ville », rappelle Anne-Laure Chouzenoux, prestataire à Toulouse. 

Même son de cloche pour Rachid Karim, technicien de maintenance en région PACA : « Lors de la canicule, on a livré des concentrateurs d’oxygène dans des campings, des maisons isolées… sans nous, des patients seraient à l’hôpital. »

Besoin d'aide à domicile ?

Une politique d’économie… à contre-courant

Le rapport 2026 de la CNAM insiste sur la nécessité de maîtriser les dépenses. Mais l’équation semble faussée dès lors qu’on ignore les leviers d’efficience déjà existants. Les PSAD ont prouvé leur capacité à éviter les hospitalisations, sécuriser les retours à domicile, et accompagner des pathologies lourdes dans un cadre moins coûteux que l’hôpital. 

Et pourtant, ils ne sont ni mieux financés, ni mieux intégrés. 

« On ne peut pas demander à l’hôpital de désengorger ses services, tout en oubliant ceux qui prennent le relais derrière la porte de sortie. Ce n’est pas tenable », alerte l’UPSADI. 

Une invitation au dialogue et à la cohérence

L’UPSADI appelle donc à ouvrir un débat sur l’évolution des équilibres budgétaires entre l’hôpital, la ville et le domicile. Si l’on veut sérieusement développer l’ambulatoire, les dépenses en ville devront mécaniquement croître. Cela implique de reconnaître la place des PSAD dans cette nouvelle architecture. 

Cette dynamique rejoint les conclusions du rapport de la FédéPSAD du 8 juillet, qui souligne : « Sans rééquilibrage, c’est la soutenabilité du virage domiciliaire qui est en jeu. » 

Face à cette absence de reconnaissance institutionnelle, une nouvelle génération de dirigeants  du secteur œuvre à transformer en profondeur les pratiques, en réaffirmant les valeurs humaines et la qualité du lien social. 

Conclusion : soigner le système, pas seulement l’image

Le virage domiciliaire est une réponse logique et attendue à une crise hospitalière profonde. Mais encore faut-il qu’il repose sur des bases solides. Oublier les PSAD dans ce mouvement revient à saborder une partie de sa mise en œuvre. 

Le message porté par les professionnels est limpide : ils ne demandent pas un traitement de faveur, mais un traitement juste. Reconnus pour ce qu’ils sont : des professionnels de santé à part entière, aux avant-postes de la prise en charge à domicile. Pour le bien du patient… et de tout le système. 

Rappelons que le rôle essentiel des aides à domicile a été célébré lors de la Journée nationale du 17 mars 2025, soulignant leur engagement quotidien auprès des plus vulnérables.