Un dispositif qui séduit… et qui coûte cher 

Le cumul emploi-retraite a connu un succès grandissant ces dernières années, notamment dans les secteurs en tension (santé, éducation, BTP) où les seniors viennent combler des manques de main-d’œuvre. Selon les chiffres de la Cour des comptes, ce dispositif représenterait aujourd’hui un coût de près de 500 millions d’euros par an pour les finances publiques, notamment parce qu’il permet à des retraités de cotiser sans générer de nouveaux droits. 

Dans un rapport publié le 4 juin 2025, l’institution recommande une réforme en profondeur : limiter le dispositif aux bas revenus ou aux activités d’intérêt général, supprimer le double avantage fiscal, voire introduire un plafond de cumul. 

« Il y a un effet d’aubaine pour certains cadres ou professions libérales », estime un haut fonctionnaire cité par Les Échos. « On ne peut pas continuer à avoir un système aussi accommodant sans s’interroger sur l’équité intergénérationnelle. » 

Une réforme qui inquiète les premiers concernés 

D’autant que pour de nombreux seniors, le travail reste aussi une manière de rester actif, utile et engagé dans la société. Comme nous le montrons dans cet article, beaucoup choisissent également d’entreprendre après 50 ans, transformant leur expérience en projet professionnel, voire solidaire. 

Mais du côté des intéressés, l’inquiétude monte. Pour beaucoup, le cumul emploi-retraite est une nécessité plus qu’un confort. C’est le cas de Colette, 69 ans, ancienne professeure de lettres aujourd’hui surveillante dans un collège de Marseille : 

« Ma pension n’est pas suffisante pour couvrir toutes mes charges. Reprendre une activité me permet de garder la tête hors de l’eau. Si on nous impose un plafond, je perds une partie de ce revenu complémentaire. » 

Et elle n’est pas la seule. Pierre, ex-infirmier hospitalier à la retraite depuis deux ans, a repris du service dans une clinique privée. Il confie à L’Opinion : 

« On vient nous chercher parce qu’on connaît le métier, qu’on est opérationnels tout de suite. Et puis, soyons honnêtes : la retraite seule ne suffit pas à vivre dignement quand on a cotisé 42 ans à temps partiel. » 

Une attractivité qui repose aussi sur les besoins des employeurs 

Cette dynamique de retour à l’emploi ou de reconversion est aujourd’hui encouragée par plusieurs dispositifs, à l’image de Boost 50+, un programme mis en place pour accompagner les seniors en quête d’un nouveau départ professionnel. Des événements comme le webinaire organisé par Oui Care  illustrent aussi cet élan, en mettant en lumière les nombreuses opportunités encore ouvertes après 50 ans 

Le débat sur le cumul emploi-retraite dépasse la seule question budgétaire. Il renvoie aussi à l’évolution du marché du travail, où les seniors sont parfois les seuls à répondre présents dans certains territoires ou secteurs. 

« On ne trouve plus personne pour faire les remplacements en pharmacie », témoigne Céline, responsable d’officine dans le Var. « Heureusement que les retraités peuvent encore venir quelques jours par semaine. Ils connaissent le système, les patients, et ils rassurent. » 

Dans ce contexte, réformer trop brutalement le dispositif pourrait avoir des effets contre-productifs, notamment en période de tension sur l’emploi qualifié. 

Que propose la Cour des comptes ? 

Parmi les pistes évoquées dans le rapport publié début juin 2025 par la Cour des comptes : 

  • Limiter le cumul emploi-retraite aux plus faibles pensions (par exemple, en dessous de 1 200 euros/mois)
  • Exclure certaines catégories socio-professionnelles jugées trop avantagées par le dispositif
  • Mettre fin à la possibilité de bénéficier à la fois du cumul et de certains allègements fiscaux, comme la demi-part ou la baisse de la CSG
  • Plafonner le montant global perçu (retraite + revenu d’activité) 

Des propositions qui, selon la Cour, pourraient générer jusqu’à 500 millions d’euros d’économies par an. 

Un calendrier encore flou, mais une réforme probable 

Pour l’instant, le gouvernement n’a pas tranché. Si aucune mesure ne figure officiellement dans le projet de loi de finances 2025, des arbitrages sont attendus d’ici l’automne. Et plusieurs membres de la majorité plaident pour une réforme "ciblée, progressive et juste". 

« Il ne s’agit pas de décourager ceux qui veulent continuer à travailler, mais de corriger les excès du système actuel », indique un député Renaissance cité par Le Monde. « Un retraité cadre qui touche 3 500 euros de pension et 2 000 euros de revenus professionnels n’est pas dans la même situation qu’une aide à domicile.»
 

Besoin d'aide à domicile ?


Une réforme aux airs de test politique
 

Le sujet est sensible : il touche à la fois à la question du pouvoir d’achat des retraités, au rapport au travail, et à l’équilibre des régimes de retraite. Dans une France encore marquée par la contestation de la réforme des retraites de 2023, tout nouveau chantier sur le sujet est scruté de près. 

Et même si le gouvernement affirme vouloir préserver les plus modestes, la crainte d’un message négatif reste forte. D’autant plus que le cumul emploi-retraite concerne aussi les indépendants, les artisans, les commerçants, souvent plus fragiles financièrement que les cadres salariés. 

« On n’a pas le luxe d’arrêter de travailler à 62 ans avec un gros matelas. Beaucoup d’entre nous vivent avec 1 000 euros par mois, et le cumul est vital », explique Michel, ancien boulanger, aujourd’hui chauffeur-livreur pour un traiteur. 

Quel avenir pour le cumul emploi-retraite ? 

La réflexion autour du cumul emploi-retraite s’inscrit aussi dans un contexte plus large : comment adapter la société à une population vieillissante, tout en préservant l’autonomie et la qualité de vie ? Sur ce point, notre livre blanc "EHPAD 2030 : vers un modèle de bien-être durable"  apporte un éclairage précieux sur les évolutions à envisager, tant pour l’accompagnement que pour la valorisation des compétences des seniors. 

Pour l’instant, aucune mesure concrète n’a été annoncée, mais le débat est lancé. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir du dispositif, qui pourrait être ajusté à l’occasion de la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale. 

En attendant, les intéressés restent dans l’expectative : faut-il continuer à cumuler, anticiper une baisse, ou se réorienter vers des activités compatibles avec de futures restrictions ? 

Une chose est sûre : le cumul emploi-retraite cristallise de nombreuses tensions économiques, sociales et symboliques. Entre besoin de justice fiscale, volonté de préserver l’emploi des jeunes, et nécessité de garantir un revenu décent aux retraités actifs, la marge de manœuvre s’annonce étroite pour l’exécutif. 

Et si le sujet suscite autant de réactions, c’est peut-être parce qu’il pose, en creux, la question que beaucoup se posent : peut-on encore vraiment "prendre sa retraite" en France aujourd’hui ?