Depuis le début du mois de mai 2025, les chauffeurs de taxi conventionnés multiplient les actions de protestation à travers la France. Au cœur de leur mécontentement : la nouvelle convention tarifaire proposée par l'Assurance maladie, visant à réformer en profondeur le système de transport sanitaire. Cette réforme, présentée comme une réponse à l'explosion des dépenses dans ce secteur, suscite une vive opposition de la part des professionnels concernés. 

Un secteur en pleine expansion budgétaire 

En 2024, les dépenses liées aux transports sanitaires ont atteint près de 6,74 milliards d'euros, dont 3,07 milliards pour les seuls taxis conventionnés. Ces chiffres marquent une augmentation significative par rapport aux années précédentes, illustrant une tendance à la hausse constante des coûts dans ce domaine. 

En toile de fond, la volonté de renforcer la lutte contre les fraudes dans le système de santé reste un argument récurrent des autorités. En 2024,la CAF a détecté plus de 49 000 cas de fraude. Une donnée qui nourrit les discours sur la nécessité de mieux encadrer les dépenses, y compris dans le transport sanitaire. Mais cette approche strictement comptable suscite l’hostilité des professionnels de terrain, qui dénoncent une méfiance généralisée. 

Le coût moyen d'un trajet en taxi conventionné est passé de 49 euros à 63 euros en dix ans, tandis que le nombre de patients bénéficiant de ces services a également augmenté. Cette situation a conduit l'Assurance maladie à envisager des mesures pour maîtriser ces dépenses, jugées de plus en plus difficiles à soutenir sur le long terme. 

Parmi les plus impactés par cette réforme, les patients en situation de handicap ou atteints d’affections longue durée, pour qui le transport médicalisé est souvent une nécessité vitale. Aladom propose un outil de recherche pour letransport de personnes en situation de handicap, un service essentiel souvent menacé par les réajustements tarifaires. 

La nouvelle convention : des changements majeurs pour les taxis 

La convention proposée introduit un forfait unique de 13 euros pour la prise en charge des patients, auquel s'ajoute un tarif au kilomètre. Par ailleurs, une prime de 15 euros est prévue pour les transports partagés, incitant les chauffeurs à regrouper plusieurs patients lors d'un même trajet. 

Ces modifications visent à simplifier la tarification et à encourager des pratiques plus efficientes. Cependant, les chauffeurs de taxi dénoncent une baisse de leurs revenus, estimant que ces nouvelles conditions ne prennent pas en compte les spécificités de leur activité, notamment dans les zones rurales où les trajets sont plus longs et moins fréquents. 

Ce n’est pas la première fois que les règles changent en matière de transport sanitaire. Déjà en avril 2023, les conditions de prise en charge des transports pour les patients en ALD ont été modifiées, complexifiant encore davantage les démarches pour les bénéficiaires comme pour les professionnels. Un sujet que nous abordons en détailici. 

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Les transports partagés : une solution controversée 

Le décret du 28 février 2025 encourage le recours au transport médical partagé pour certains soins réguliers, tels que la dialyse ou la radiothérapie. Cette mesure vise à optimiser l'utilisation des véhicules et à réduire les coûts pour l'Assurance maladie. 
 
Cette réforme tarifaire s’inscrit dans un contexte de tension budgétaire pour la Sécurité sociale. Si les dépenses de santé ont globalement augmenté ces dernières années, leur progression avait néanmoins ralenti en 2022, comme nous soulignions danscet article. Un ralentissement qui ne suffit pas à endiguer les mesures de régulation engagées. 

Toutefois, cette approche soulève des inquiétudes parmi les professionnels et les patients. Les chauffeurs redoutent une dégradation de la qualité du service, tandis que certains patients expriment des réserves quant à la confidentialité et au confort lors de trajets partagés. 

Le mécontentement est palpable sur le terrain. Jacques, chauffeur de taxi conventionné dans le Lot-et-Garonne, témoigne dansLe Monde: « Ils veulent qu’on transporte plusieurs patients à la fois pour le prix d’un. Et pendant ce temps, on fait plus de kilomètres, on perd du temps, et on gagne moins. C’est intenable. » Une déclaration qui illustre la difficulté de mise en œuvre d’un transport partagé, perçu par de nombreux professionnels comme une menace à la fois économique et logistique. 

Une mobilisation nationale des chauffeurs de taxi 

Face à ces changements, les chauffeurs de taxi ont organisé plusieurs journées de grève et de manifestations à travers le pays. Leurs revendications portent sur une révision de la convention tarifaire et une meilleure prise en compte de leurs contraintes professionnelles. 

Malgré des discussions entamées avec les autorités, aucun accord n'a été trouvé à ce jour. Les chauffeurs maintiennent la pression, déterminés à faire entendre leur voix et à défendre leur modèle économique. 

Des enjeux économiques et sociaux majeurs 

La réforme du transport sanitaire s'inscrit dans un contexte plus large de maîtrise des dépenses de santé. Le gouvernement cherche à réaliser des économies significatives pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, estimé à plus de 13 milliards d'euros en 2025. 

Cependant, cette volonté de rationalisation ne doit pas occulter les conséquences sociales de telles mesures. Les chauffeurs de taxi jouent un rôle essentiel dans l'accès aux soins, notamment pour les populations isolées ou en situation de fragilité. Une réforme mal calibrée pourrait entraîner une dégradation de ce service public vital. 

Du côté des patients, l’inquiétude monte aussi. Marie, patiente dialysée, confiait récemment à un collectif que « c’est déjà éprouvant de devoir aller à l’hôpital trois fois par semaine. Si en plus on doit partager le trajet avec des inconnus, avec des horaires aléatoires, c’est trop. » Un témoignage qui met en lumière les tensions entre la recherche d’efficacité économique et le respect du confort des usagers du système de santé. 

De plus, dans les zones rurales et les déserts médicaux, les taxis conventionnés sont bien souvent le dernier maillon entre le domicile et l’hôpital. Une réforme de leur rémunération sans prise en compte des réalités géographiques risque de creuser encore les inégalités d’accès aux soins. Comme nous le rappelons danscet article, les déserts médicaux constituent déjà un défi de taille pour le système de santé. Affaiblir les solutions de transport dans ces zones reviendrait à aggraver la fracture sanitaire. 

Vers une solution équilibrée ? 

Pour sortir de l'impasse, il est nécessaire d'engager un dialogue constructif entre les parties prenantes. Une réforme du transport sanitaire doit concilier impératifs budgétaires et maintien d'un service de qualité pour les patients. Cela implique une écoute attentive des professionnels du secteur et une adaptation des mesures aux réalités du terrain. 

Pour Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie, la réforme est indispensable : « Nous voulons garantir un accès équitable aux soins tout en assurant la pérennité du système. La réforme vise à mieux encadrer les dérives, pas à pénaliser les professionnels. » Une volonté de cadrer les abus, mais qui reste mal perçue sur le terrain tant le fossé semble grand entre les intentions affichées et la réalité des pratiques. 

En attendant, la mobilisation des chauffeurs de taxi se poursuit, témoignant de l'importance de leur rôle dans le système de santé français et de la nécessité de trouver un compromis acceptable pour tous.