Une enveloppe en hausse. Des chiffres rassurants. Et pourtant, dans les couloirs d’un EHPAD de banlieue parisienne, une aide-soignante termine sa nuit avec trop de résidents à charges. Loin des communiqués, la réalité est plus rugueuse.
Une hausse budgétaire modeste dans un contexte d’économies drastiques
Début mai, la publication de la circulaire médico-sociale 2025 a fait couler beaucoup d’encre. Le texte prévoit une hausse de 2,35 % des financements pour les EHPAD. Un chiffre a priori positif, mais qui s’inscrit dans un contexte de rigueur budgétaire nationale : 40 milliards d’euros d’économies sont attendus en 2025 sur l’ensemble de la dépense publique.
Dans les faits, cette augmentation ne suffit pas à compenser l’inflation et la hausse continue des coûts d’exploitation (alimentation, énergie, salaires, fournitures médicales). Plusieurs fédérations, dont la FHF et la Fehap, ont souligné le caractère "cosmétique" de cette mesure. "Nous n’avons même plus les moyens d’assurer correctement les soins de base. La situation est indigne", déplore une directrice d’établissement interrogée par Le Quotidien du Médecin.
Une crise structurelle du personnel toujours plus aiguë
Le cœur du problème reste la pénurie de personnel. Chaque été, les EHPAD doivent faire face à des plannings sous tension, faute de soignants disponibles. Le phénomène est devenu chronique. "On jongle avec des absences, on mutualise les équipes, on repousse les temps de présence... Ce n’est plus gérable humainement", confie une cadre de santé à Lyon.
Pour pallier, temporairement, à ces difficultés des solutions peuvent être mises en place. Comme le fait de proposer à des étudiants ou jeunes diplômés l’accès à des job d’été. Nous l’évoquions dans cet article. Mais cela ne reste que des mesures “pansements”.
L’impact de cette tension se fait sentir aussi bien sur les résidents que sur les soignants. Turn-over massif, burn-out, désengagement : la boucle est infernale. Et malgré quelques revalorisations salariales, l’attractivité du secteur ne se redresse pas.
Des réponses politiques en demi-teinte
Face à cette impasse, les propositions politiques peinent à convaincre. Parmi elles, le retour d’une "deuxième journée de solidarité", version 2025 : sept heures de travail non rémunérées pour alimenter les caisses de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie). Une idée défendue au Sénat, mais critiquée pour son manque d’ambition structurelle et son effet potentiellement contre-productif sur le moral des équipes.
En parallèle, certaines régions tentent de déployer des dispositifs pour soutenir les professionnels, comme à Boulogne-Billancourt, où un espace de repos a été aménagé pour les aides à domicile. Mais ces initiatives restent ponctuelles et très inégalement réparties.
Un modèle en fin de cycle ?
La crise actuelle soulève une question plus large : le modèle des EHPAD, tel qu’il existe aujourd’hui, est-il encore viable ?
Faute de moyens, nombre d’établissements n’arrivent plus à garantir un accueil digne. Résultats : des listes d’attente qui s’allongent, des familles inquiètes, et des acteurs du secteur qui appellent à une réforme en profondeur.
Explorer d’autres chemins pour mieux vieillir
Face à cette impasse, les Français commencent à envisager d'autres formes d'accompagnement. Co-living senior, résidence autonomie, habitat intergénérationnel, maintien à domicile renforcé : les solutions alternatives gagnent en visibilité.
Et les familles dans tout ça ?
Coincées entre culpabilité et impuissance, les familles de résidents vivent elles aussi la crise des EHPAD de plein fouet.
"On se demande si on a fait le bon choix. Quand on voit le manque de personnel, les retards dans les soins, l’épuisement palpable… on culpabilise", confie Lucie, dont la mère a récemment été placée.
Les proches, souvent aidants jusqu’au bout de leurs forces, espéraient trouver dans ces établissements un relais sûr. Or, trop souvent, l’établissement devient un nouveau terrain d’inquiétude, voire de vigilance constante. Intégrer les familles à la réflexion, c’est aussi repenser le soin comme une chaîne solidaire, et non comme une délégation institutionnelle.
Vers un EHPAD de demain ?
Plutôt que de laisser mourir à petit feu le modèle existant, certains appellent à le réinventer. Nous avons récemment publié un livre blanc, qui propose une analyse approfondie des enjeux actuels et futurs des EHPAD : habitat repensé, management participatif, ouverture sur le quartier, etc.
Nous devons sortir de la logique purement sanitaire pour entrer dans une culture de l’accompagnement global. Un EHPAD doit redevenir un lieu de vie, pas un hôpital bis. Afin d'accompagner la réflexion sur les transformations nécessaires pour offrir des services toujours plus respectueux et adaptés aux personnes âgées en perte d’autonomie.
En conclusion, une refondation plus qu’une rallonge
La hausse de 2,35 % du financement en 2025 peut donner l’illusion d’un soutien renforcé, mais ne saurait cacher la fragilité croissante d’un système qui s’essouffle. L’enjeu dépasse la simple question budgétaire. Il s’agit de repenser en profondeur notre rapport à la vieillesse, à l’accompagnement, et aux professionnels qui en ont la charge.
Tant que l’on continuera à colmater les brèches sans revoir la structure, les EHPAD resteront en sursis. Ce dont le secteur a besoin, ce n’est pas d’un répit temporaire, mais d’un projet collectif à long terme.
Découvrez notre podcast « Servez-vous » : Parlons peu, parlons soin – comment gérer l’impact émotionnel de la transition du domicile vers l’EHPAD ?
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