Un contexte de tensions sociales et politiques

Malgré la chute récente du gouvernement de Michel Barnier après l’adoption d’une motion de censure, la grève des fonctionnaires prévue ce jeudi 5 décembre a été maintenue. Ce mouvement, à l'appel d'une majorité d'organisations syndicales, s’inscrit dans un climat social tendu, marqué par l'annonce d’un plan de lutte contre l’"absentéisme" dans la fonction publique. Ce plan, porté par le ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique, Guillaume Kasbarian, vise à économiser 1.2 milliard d’euros. Mais, il est perçu comme une attaque directe par les syndicats.

Parmi les mesures les plus décriées figurent : le passage d’un à trois jours de carence pour les arrêts maladie, la réduction de 100% à 90% de la rémunération en cas d'arrêt prolongé et enfin, la suppression d’une prime en soutien au pouvoir d’achat.

Dans une déclaration ferme au CSAMEN (Comité Social d'Administration Ministériel de l'Education Nationale) le 3 décembre 2024, l’intersyndicale a dénoncé les récentes mesures annoncées : "Le passage de 1 à 3 jours de carence et la baisse de l’indemnisation de l’arrêt maladie sont des mesures punitives comme si les fonctionnaires étaient coupables d’être malades alors même que les gouvernements successifs portent une lourde responsabilité dans la dégradation de leurs conditions de travail et, en définitive, de leur santé. Cette baisse du traitement pénalisera les agents, tout particulièrement celles et ceux en situation de précarité, mais aussi davantage les femmes. Le gouvernement a décidé d’aller vite puisque ce même jour les textes afférents à certaines de ces mesures devaient être étudiés en conseil commun de la fonction publique.”



"On se sent comme des serpillères”

Hélène, une enseignante dans un collège en Segpa (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) dans le Tarn n’avait fait grève qu’une seule fois depuis sa reconversion, il y a quelques années. Aujourd'hui, elle a décidé de rejoindre le mouvement, évoquant "une accumulation de frustrations". Mais aussi, "On sent énormément de mépris de la part des responsables politiques." déplore-t-elle, citant les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy. L’ancien président avait affirmé (au mois de novembre dernier) que les professeurs des écoles ne travaillaient que six mois par an, ajoutant que la France ne pouvait se permettre d’avoir un million d’enseignants : "C’est 24 heures par semaine, six mois de l’année, entre les vacances et les week-ends…" Ces propos, qualifiés de  "prof-bashing" par les syndicats, ont vivement indigné la profession et au-delà. "C’est une mentalité politique générale qui met à mal vraiment le monde enseignant. On se sent comme des serpillères.", conclut-elle.

Outre ces attaques, cette enseignante dénonce des conditions de travail qu’elle considère comme "maltraitantes" : "Il n’y a pas de ressources humaines, zéro médecine du travail. On est vraiment à l’ère du silex."

Comme Hélène, de nombreux enseignants ont prévu de répondre à l’appel d’une intersyndicale qui rassemblent presque tous les syndicats de l’Education nationale (FSU, Unsa Éducation, CGT Éduc’action, CFDT Éducation, Snalc, Sud) pour participer aux mobilisations de ce jeudi. Dans le primaire, le FSU-Snuipp annonce 65 % de grévistes, avec des pointes atteignant 78% et plus de 300 écoles fermées en Seine-Saint-Denis. Au collège et au lycée, le Snes-FSU prévoit au moins 50% de grévistes. 



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Ces jours de carence qui ont cristallisé la colère 

La mobilisation du 5 décembre illustre une colère croissante alimentée par plusieurs éléments : la suppression de 4 000 postes dans l’Education nationale dans le cadre du budget 2025, l’absence de revalorisation salariale, et le "fonctionnaire bashing" dénoncé par l’intersyndicale. S’ajoute à cela, le plan gouvernemental présenté fin octobre pour lutter contre l’absentéisme, qui prévoit de porter de 1 à 3 jours le délai de carence non payé et de réduire la rémunération en cas d’arrêt maladie.

Pour Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Éducation, ces jours de carence sont un "facteur de cristallisation de la colère". Servane Marzin, professeure d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis et syndiquée au Snes-FSU, partage ce constat : "C’est une atteinte à nos revenus", d’autant que "nos salaires ne suivent pas l’inflation". Christel, professeure des écoles à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) depuis 29 ans et membre de la FSU-Snuipp, renchérit : "Les jours de carence ont mis le feu aux poudres. Mais le vrai problème, ce n’est pas l’absentéisme, c’est le manque de remplaçants." Elle évoque aussi des "salaires insuffisants", des "conditions de travail déplorables" et une école inclusive toujours inadaptée pour les élèves en situation de handicap.

"Au bout d’un moment, on est fatigués de tout ça.", résume Virginie Prégny, professeure d’anglais dans un collège en éducation prioritaire à Paris et militante CGT. Elle décrit un sentiment partagé dans les salles des profs : "On se sent insultés, humiliés." Zacharie Signoles, professeur de français à l’IUT d’Aix-Marseille, confirme : "Il y a un ras-le-bol général, un profond sentiment de dénigrement."

Dans l’enseignement supérieur, les difficultés budgétaires sont aussi au cœur des préoccupations. Les syndicats (Snesup, CFDT, CGT, Unsa, Union étudiante, Fage, Unef, etc.) ont appelé à une large mobilisation ce même jour, dénonçant dans un communiqué les "attaques et calomnies" répétées contre les agents du service public.

Enfin, les critiques visent également les méthodes de Guillaume Kasbarian, le ministre de la Fonction publique, qui s’est récemment félicité de partager avec son homologue Elon Musk (à la tête d’un nouveau ministère de l’Efficacité gouvernementale - en anglais : le “Department of Government Efficiency” soit l’acronyme de DOGE) les "bonnes pratiques” pour réduire "l’excès de bureaucratie”, faisant un parallèle avec les réformes de démantèlement qui seront prochainement mises en œuvre aux Etats-Unis. Une position perçue comme un signal inquiétant pour les fonctionnaires, et qui alimente davantage le mécontentement.



Les hôpitaux, les crèches et l'administration impactés

En toile de fond de cette mobilisation se dessine un constat alarmant : les services publics manquent cruellement de moyens. De la santé à l’éducation, en passant par les collectivités locales, les agents publics alertent sur une dégradation constante de leurs conditions de travail.

Ainsi, ce jeudi, de nombreux services publics, au-delà de l’Education nationale, ont été affectés par des perturbations. L’intersyndicale de l’énergie a également prévu une mobilisation dans l’ensemble des entreprises du secteur électrique et gazier, dans le cadre des négociations salariales de la branche. Dans les hôpitaux, des perturbations locales ont été signalées. A Marseille, la CGT de l’hôpital de la Timone a prévu une forte mobilisation des soignants, avec des arrêts de travail de deux heures, susceptibles de provoquer des retards dans les prises en charge, bien que les urgences soient maintenues.

Les crèches publiques ont également été impactées dans certaines régions : six crèches resteront fermées en Lorraine. Par ailleurs, les services administratifs, tels que les mairies, les conseils départementaux et régionaux, ainsi que les centres des impôts et des finances publiques ont été touchés par la grève. Les policiers municipaux ont eux aussi été invités à se joindre au mouvement.

Source de l'ensemble des témoignages : AFP