L'étude de la DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) englobe tous les salariés suivis par la médecine du travail en France, à l'exception de Mayotte. Elle ne prend pas en compte les salariées employées par des particuliers, qui constituent environ un tiers des effectifs dans le secteur de l'aide à domicile, ni celles qui n'ont pas de contrat de travail, qui représentent environ un dixième de ce groupe. Etant donné que les métiers de l'aide à domicile sont majoritairement exercés par des femmes (95% selon l'étude Sumer 2017), seules les salariées féminines ont été incluses dans cette analyse.
Aide à domicile : une profession majoritairement féminine mais vulnérable
Selon
l’étude de la Dares intitulée "Quels risques psychosociaux chez les salariées de l’aide à domicile ?” diffusée en octobre 2021, les métiers de l’aide à domicile (qui englobent les aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales) se sont largement développés depuis 30 ans pour répondre aux besoins du vieillissement de la population et de l’évolution des modes de vie familiaux. Ils permettent aux
personnes âgées ou
handicapées de conserver une certaine autonomie tout en restant dans leur cadre de vie habituel. Ces métiers sont très féminisés et souvent précaires. Alors que les actions de prévention (consignes de sécurité, formations, mises à disposition d’équipements, etc.) restent limitées,
les salariées de ces métiers sont particulièrement exposées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Or, les facteurs psychosociaux augmentent le risque d’accident du travail et/ou de maladie professionnelle et ont un impact sur la santé mentale.
L’étude note également que les salariées de l’aide à domicile sont plus âgées que la médiane des salariées (49 ans contre 43 ans) et sont plus fréquemment de nationalité étrangère, hors Union Européenne. En outre, leur ancienneté sur le poste est moins longue que celle des autres salariées (37% ont moins de 3 ans d’ancienneté contre 23%). La plupart d’entre elles sont employées par des entreprises du secteur privé ou des organisations mutualistes, associatives ou coopératives et dans des établissements de 10 à 249 salariés.
Un temps de travail très morcelé
Le quotidien des
auxiliaires de vie est particulièrement exigeant, tant sur le plan physique que psychologique. Elles sont souvent amenées à se déplacer d’un domicile à un autre, ce qui limite leurs pauses et leur impose un rythme soutenu. En outre, elles assument des tâches variées, allant de l’aide à la toilette à l’accompagnement médicalisé, en passant par le soutien moral. La gestion de situations émotionnellement lourdes et parfois complexes, comme les soins en fin de vie, est une charge immense qui peut mener à l’épuisement.
De plus, les auxiliaires de vie, dont les horaires sont rarement fixes et souvent morcelés, subissent une
organisation du travail complexe qui entrave l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Entre les déplacements fréquents et des journées découpées pour répondre aux besoins spécifiques des bénéficiaires, il est difficile pour elles de trouver une stabilité. L’étude de la Dares met en lumière ce morcellement, ainsi que les amplitudes horaires qui favorisent la fatigue chronique : 76% des aides à domicile travaillent à temps partiel, mais seules 62% ont choisi cette durée, contre 85% chez les autres salariés. Leurs plannings sont fragmentés : 51% n’ont pas les mêmes horaires tous les jours, 15% ne connaissent pas leurs horaires une semaine à l’avance, et 40% ont des horaires coupés avec deux périodes de travail espacées de trois heures d’interruption ou plus. Plus encorre, 29% des aides à domicile n’ont pas 48 heures de repos consécutives, et
elles sont plus nombreuses à intervenir le week-end et les jours fériés que d’autres salariés, bien qu’elles soient moins sollicitées en soirée ou la nuit. Cette organisation du travail, aux contraintes spécifiques, reflète les défis singuliers de cette profession essentielle.

Un rythme de travail modéré
Selon l’enquête de la Dares, la charge psychologique liée aux exigences du métier est globalement moins élevée pour les aides à domicile que pour d’autres salariées. Bien que leur emploi du temps soit morcelé, la pression temporelle reste réduite, car elles sont rarement contraintes de travailler à un rythme très rapide. Leur travail exige peu de longues périodes de concentration intense, contrairement à d'autres métiers, et subit moins de fluctuations imprévisibles, ce qui leur offre une certaine stabilité psychologique.
Par ailleurs, les aides à domicile sont généralement moins exposées aux contraintes de rythme fréquentes : seulement 14% d'entre elles subissent trois contraintes de rythme ou plus, comparé à 27% des autres salariées. Cependant, elles restent davantage sujettes à des exigences spécifiques, telles que le respect des normes de production et des délais. Cette pression est souvent accentuée par le recours aux outils numériques qui facilitent un suivi précis de leurs horaires et de leurs activités. Cette gestion informatisée permet un meilleur contrôle de leur travail, mais elle peut aussi induire un stress supplémentaire lié à la surveillance.
En revanche, les aides à domicile considèrent moins souvent que d'autres salariées être interrompues avant d’avoir terminé une tâche, ce qui leur permet de finaliser leurs missions sans avoir une pression excessive liée à des interruptions constantes. Malgré une charge mentale globalement inférieure à celle d’autres professions, leur quotidien reste marqué par des consignes précises et un rythme de travail qui, bien que moins intense, reste exigeant.
Peu de frictions avec les usagers mais une charge affective lourde
Bien que les aides à domicile soient moins exposées aux tensions et conflits ouverts avec les bénéficiaires que d'autres salariés en contact avec le public, leur charge émotionnelle reste néanmoins élevée, comme le montre l’étude de la Dares.
94% des aides à domicile interagissent directement avec les personnes qu’elles assistent, contre 79% pour d'autres professions du secteur social ou médical. Cette proximité, bien qu'enrichissante, rend leur engagement émotionnel intense. Cependant, comme le rapporte l’étude, les tensions rapportées restent relativement faibles : seulement 6% des aides à domicile expriment des difficultés relationnelles avec les usagers, contre 11% pour les autres professions en contact direct avec le public, et 9% indiquent avoir été victimes d'agression dans l'année, contre 16% dans les autres secteurs en interaction avec le public.
L’aspect émotionnel de leur travail, qui va souvent bien au-delà de l’aide pratique, repose notamment sur le fait de devoir régulièrement soutenir des personnes en situation de grande vulnérabilité ou de détresse. Par ailleurs, si elles sont moins souvent confrontées à des situations conflictuelles directes, elles rapportent plus fréquemment devoir "cacher leurs émotions" pour pouvoir préserver une atmosphère apaisante, une compétence émotionnelle difficile et pourtant centrale dans leur métier. Ce besoin de maîtriser et moduler leurs réactions dans des situations délicates ajoute une dimension émotionnelle lourde, amplifiée par la proximité prolongée avec les usagers.
Des perceptions variées de la reconnaissance au travail
Les auxiliaires de vie jouent un rôle important dans l'accompagnement des personnes vulnérables au quotidien, mais leur travail est souvent sous-évalué et manque de reconnaissance. La rémunération, qui n’est pas proportionnelle à la responsabilité et à l’engagement que nécessite leur mission, renforce le sentiment d’invisibilité et de frustration. Selon l’étude de la Dares d’octobre 2021, ces salariées de l’aide à domicile expriment un fort isolement professionnel : 24% d’entre elles déclarent ne pas pouvoir échanger avec leurs collègues pour accomplir efficacement leur travail, contre seulement 4% pour les autres salariées. Par ailleurs, elles sont deux fois plus nombreuses à ressentir un manque de soutien de la part de leur hiérarchie, ce qui accentue leur isolement et renforce les exigences émotionnelles de leur métier.
Malgré cet isolement, les aides à domicile se sentent néanmoins reconnues pour leur travail, en particulier par leur supérieur hiérarchique. L’étude montre qu’elles bénéficient plus souvent que d'autres salariées de respect et d'estime et se sentent moins souvent traitées de manière injuste. Elles sont aussi moins exposées aux comportements hostiles dans le cadre professionnel : 10% d’entre elles déclarent avoir subi des comportements méprisants ou dégradants dans les 12 derniers mois, contre 17% dans les autres secteurs. Cependant, le manque de reconnaissance financière reste un sujet central. En effet, seulement 24% d’entre elles jugent leur salaire satisfaisant au regard des efforts fournis, contre 35% des salariées d’autres secteurs.
Les insécurités au sein du milieu professionnel
Certains gestes et postures de travail, comme la manutention répétée de charges ou l’accompagnement de personnes en perte de mobilité, peuvent entraîner fatigue et douleurs pour les auxiliaires de vie. A moyen et long terme, ces contraintes physiques sont souvent à l'origine de troubles musculosquelettiques (TMS), de lombalgies, d’entorses et, dans des cas plus graves, d'accidents cardiovasculaires. En effet, les tâches de soutien, telles que l’aide aux déplacements des personnes à mobilité réduite ou l’assistance pour la toilette, exigent des postures contraignantes et se répètent plusieurs fois par jour, accentuant le risque de blessures.
Ces risques sont directement influencés par les conditions de travail des auxiliaires de vie : l’environnement physique et psychosocial, ainsi que l’organisation du travail, jouent un rôle central. L’étude de la Dares montre que l’absence d’aides techniques adéquates, la difficulté à intervenir en binôme pour les transferts de patients, et l’exiguïté ou l’encombrement des logements compliquent considérablement l'exécution des tâches. Cela limite les possibilités d'adopter des postures sécuritaires, augmentant ainsi la pression physique sur les auxiliaires.
Pour les salariées de l’aide à domicile, les dangers sont accentués par le manque de soutien organisationnel et d’encadrement : 22% d’entre elles déclarent avoir déjà interrompu ou refusé une tâche pour préserver leur santé ou leur sécurité, contre 13% des autres salariés, selon des données de 2017. Elles se sentent davantage exposées aux risques physiques et psychologiques, ce qui les conduit parfois à prendre des mesures de précaution par manque d’alternatives. De plus, elles sont légèrement plus nombreuses que dans d’autres métiers à s’inquiéter pour la sécurité de leur emploi, un facteur qui vient s'ajouter aux nombreux défis de leur quotidien professionnel.
Ces solutions pour venir en aide aux auxiliaires de vie
Pour répondre aux besoins spécifiques des auxiliaires de vie, il convient d'explorer des solutions concrètes qui peuvent améliorer leur bien-être et la qualité de leur travail :
1. Une des premières actions consiste à
améliorer les conditions de travail en réduisant les amplitudes horaires, en organisant mieux les tournées et en augmentant le temps de repos entre chaque mission. Un encadrement plus structuré et des horaires stabilisés pourraient limiter le stress et réduire l’épuisement professionnel.
2. Il est essentiel que
les employeurs et les institutions qui encadrent les auxiliaires de vie soient formés aux enjeux de santé mentale. La mise en place de séances de sensibilisation et de prévention du burn-out pourrait réduire les risques d’épuisement. Des formations spécifiques sur la gestion du stress et l’accompagnement des situations difficiles pourraient aussi être bénéfiques.
3. Proposer un
soutien psychologique régulier et un espace de parole aux auxiliaires de vie est primordial pour réduire le risque de burn-out. Des rencontres régulières avec des psychologues ou des groupes de soutien entre collègues offrent des occasions précieuses pour exprimer leurs expériences, trouver du réconfort et partager des stratégies face aux défis rencontrés. Un exemple inspirant est le collectif d’auxiliaires de vie “Les Couleurs de la vie”, qui regroupe huit professionnelles dans le Vignoble nantais, en Loire-Atlantique. Ce collectif, fondé en 2019 par Justine Josse-Gobin et Fabienne Galpin, est né d’une volonté de travailler en coopération, en respectant les rythmes des personnes accompagnées et de leurs aidants.
Pour plusieurs de ses membres, le parcours vers l’autonomie professionnelle a été marqué par des expériences éprouvantes au sein de structures médicales ou sociales, où le rythme de travail était intense et les moyens souvent insuffisants. Comme nous le raconte le site
Actu.fr, Carole Charrié a quitté son poste dans l’unité Alzheimer d’un Ehpad après avoir souffert d’un burn-out, déterminée à continuer à aider les personnes âgées mais dans un cadre plus humain et respectueux.
Le fonctionnement du collectif repose sur l’autonomie de chaque membre, sans hiérarchie. Chaque auxiliaire assure le secrétariat à tour de rôle, ce qui renforce le sentiment d’appartenance et de solidarité. Elles interviennent auprès de 5 à 10 employeurs, majoritairement des personnes âgées, en veillant à limiter le nombre d’intervenantes par bénéficiaire pour garantir une continuité dans l’accompagnement. Une fois par mois, elles se réunissent pour discuter des situations rencontrées, renforçant ainsi leur cohésion d’équipe et leur capacité à gérer les défis émotionnels et physiques de leur métier.
Ce cadre solidaire leur permet de mieux naviguer dans un travail qu’elles qualifient de "fabuleux”, tout en reconnaissant qu’il est trop exigeant pour être exercé à temps plein. Comme elles le soulignent, "Notre entente est primordiale. Il n’y aurait pas ce collectif, on aurait toutes changé de branche." Grâce à ce collectif, les auxiliaires de vie trouvent non seulement un environnement de travail bienveillant, mais également une nouvelle manière d’exercer leur métier, en accord avec leurs valeurs.
4. Il est essentiel de
valoriser ce métier, tant sur le plan financier que social. Revoir les salaires, offrir des primes de fidélité ou de performance, et reconnaître le statut essentiel de ces professionnels dans le domaine de la santé pourraient constituer des avancées significatives pour attirer et garder les auxiliaires de vie en activité.
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