Quand le marketing prime sur la clarté
Les intitulés de poste fantaisistes peuvent certes susciter de la curiosité et attirer l'attention, mais ils posent également de sérieux problèmes en matière de clarté et de crédibilité. Depuis quelques années, les intitulés de poste sortent du cadre traditionnel pour adopter un ton plus décontracté, voire ludique. Des termes comme "Ninja des réseaux sociaux", "Rockstar du développement", ou "Evangelist de l'innovation" font leur apparition sur les plateformes de recrutement, notamment dans le secteur des start-ups et du numérique. L'objectif est souvent double : d'une part, se démarquer dans un environnement où des centaines de postes similaires sont publiés quotidiennement, et d'autre part, attirer une nouvelle génération de talents, en particulier la
génération Z, qui recherchent des environnements de travail modernes, stimulants et non conventionnels.
Cependant,
cette course à l'originalité des intitulés peut rapidement virer au ridicule et aboutir à des conséquences néfastes. Premièrement, elle brouille la compréhension des postes proposés. Un candidat à la recherche d'un emploi de "Community Manager" peut passer à côté d'une offre intitulée "Ninja des réseaux sociaux", simplement parce qu'il ne fait pas le lien entre ces deux appellations. Cela crée une barrière inutile entre l'offre et le candidat. À l'inverse, un candidat peut postuler à un emploi dont l'intitulé semble alléchant et innovant, pour découvrir ensuite qu'il s'agit d'une fonction classique, voire monotone. Le décalage entre l'intitulé et la réalité des tâches peut conduire à des déceptions, à une démotivation précoce ou à un turn-over plus important, lorsque les salariés se rendent compte que le rôle ne correspond pas à ce qu'ils imaginaient.
Mais aussi,
les intitulés fantaisistes peuvent créer des attentes irréalistes. Lorsqu'un poste est présenté sous un titre évocateur et moderne, il peut laisser penser que le rôle implique des responsabilités élevées ou une forte dimension stratégique. Prenons l'exemple d'un "Chief Happiness Officer". Ce titre laisse imaginer un rôle clé dans la gestion du bien-être des employés, avec une influence sur la culture d'entreprise et la politique RH. Pourtant, dans de nombreux cas, ce type de poste se résume à des tâches administratives comme l'organisation d'événements internes ou la gestion des avantages sociaux, loin des responsabilités managériales sous-entendues par l'intitulé. Cela peut entraîner une confusion non seulement chez les candidats, mais également chez les collaborateurs internes, qui ne comprennent pas toujours le rôle exact de leurs collègues aux titres exagérés.
Sans compter que
cette tendance à l'embellissement des intitulés peut éroder la crédibilité des entreprises. A force de vouloir moderniser et glamouriser les postes, certaines entreprises tombent dans le piège du paraître, au détriment du fond. Les candidats, de plus en plus méfiants, sont aujourd'hui bien informés grâce aux plateformes de transparence salariale ou aux réseaux professionnels comme LinkedIn. Ils peuvent facilement vérifier si les intitulés des postes correspondent aux réalités du marché ou si l'entreprise essaie de masquer des conditions de travail difficiles derrière des intitulés accrocheurs. Si un employeur annonce un poste de "Gourou de l'innovation" et que le contenu du poste n'est qu'un ensemble de tâches opérationnelles sans vision stratégique, l'entreprise risque de ternir son image et de passer pour une société superficielle, cherchant simplement à attirer des talents sans offrir de véritables perspectives.
Le phénomène des intitulés fantaisistes peut également poser des problèmes juridiques. Les descriptions de poste sont souvent liées à des conventions collectives, à des niveaux de salaire et à des grilles de compétences.
En masquant le véritable niveau de responsabilité derrière des titres exagérés, certaines entreprises peuvent être accusées de tromperie, ou pire, de sous-estimation du rôle réel pour justifier un salaire inférieur à celui attendu. Dans ce contexte, un "Junior Growth Hacker" peut en réalité effectuer des tâches de "Responsable Marketing", sans pour autant bénéficier de la rémunération ou du statut correspondant. Cette dissonance entre le titre et le contenu du poste peut également nuire à la transparence et à l'équité des promotions en interne.
Notons que l'utilisation abusive de ces intitulés accrocheurs peut avoir des répercussions sur la cohésion au sein de l'entreprise. Les collaborateurs ayant des titres plus traditionnels peuvent se sentir dévalorisés ou frustrés de ne pas bénéficier de la même reconnaissance symbolique, même s'ils occupent des postes essentiels au fonctionnement de l'entreprise. Cela peut accentuer le sentiment d'injustice ou créer des divisions inutiles, alors que l'objectif initial était de renforcer la motivation des équipes.
Des attentes démesurées, des compétences floues
La surenchère dans les intitulés de poste traduit un phénomène croissant dans le monde du recrutement où l'originalité semble primer sur la clarté. Si ces titres fantaisistes peuvent attirer l’attention des candidats en leur promettant des responsabilités exaltantes ou un environnement de travail dynamique, ils masquent souvent des attentes démesurées ou des compétences mal définies. Les employeurs, en cherchant à rendre leurs offres plus séduisantes, risquent de créer une confusion profonde chez les candidats, qui ne savent plus réellement à quoi s’attendre. Cette opacité peut également amener à des malentendus sur les missions concrètes du poste, le candidat étant persuadé de décrocher un emploi stratégique ou créatif, mais découvrant finalement des tâches plus opérationnelles ou répétitives.
Cette tendance peut aussi dissimuler des réalités plus contraignantes, comme des conditions de travail précaires ou une surcharge de responsabilités. Parfois, derrière un titre impressionnant, se cache une surcharge de travail ou des attentes floues, où l’on attend de l’employé une polyvalence excessive sans lui offrir un cadre clair de compétences. De plus, cette pratique peut être source de frustration pour les recruteurs eux-mêmes, qui se retrouvent face à des candidats potentiellement mal qualifiés ou déçus par la réalité du poste.
Finalement, cette course aux intitulés accrocheurs, loin de valoriser les compétences réelles, détourne le recrutement de ses fondamentaux : la transparence et l’adéquation des compétences. Pour les entreprises, il devient crucial de rétablir des intitulés de poste réalistes et de redéfinir des descriptions claires, afin d’attirer les bons profils, tout en évitant de susciter des attentes irréalistes et de masquer des réalités de plus en plus complexes. Par exemple, le terme "manager" est aujourd'hui tellement galvaudé qu'il devient complexe de différencier un véritable rôle de management d'une simple fonction opérationnelle. Un "Product manager" peut aussi bien être un chef de projet qu'un responsable produit sans réelle autorité hiérarchique. Cette dilution des intitulés brouille la communication et finit par nuire à l'image de marque de l'employeur.

Les répercussions sur l'image des entreprises
En cherchant à rendre les offres d'emploi plus attractives, certaines entreprises tombent dans l'exagération, au point de susciter la méfiance des candidats. Des intitulés trop fantaisistes, comme "Chief Happiness Officer" ou "Responsable de la convivialité", peuvent donner l'impression que l'entreprise ne prend pas ses postes au sérieux, ou pire, qu'elle cherche à masquer des réalités internes problématiques. Ce décalage entre l'intitulé et la réalité du poste peut être perçu comme une tentative de maquiller des conditions de travail difficiles ou un climat social tendu.
Dans des secteurs où le turn-over est élevé, ces titres accrocheurs sont parfois utilisés pour détourner l'attention des véritables défis liés au poste. Les candidats sont de plus en plus avertis et savent faire preuve de discernement face à ce type de pratiques. Grâce aux réseaux sociaux et aux plateformes d'évaluation des employeurs, ils peuvent rapidement accéder à des informations vérifiables sur la culture d'entreprise, les conditions de travail, ou encore l’ambiance générale. Si l'intitulé ne correspond pas aux attentes ou à la réalité, cela peut entraîner non seulement des critiques publiques, mais aussi un désengagement rapide des talents potentiels.
Cette déconnexion peut avoir des conséquences néfastes sur la marque employeur. Les entreprises qui abusent de titres flatteurs ou trompeurs risquent de perdre leur crédibilité auprès des candidats. La transparence devient alors un enjeu crucial dans un marché de l'emploi où les talents sont de plus en plus exigeants. Le manque de clarté ou l'exagération dans les offres d'emploi peut également avoir un effet à long terme sur la fidélisation des talents, ce qui est susceptible de réduire la capacité de l'entreprise à attirer des profils qualifiés et motivés. Une marque employeur détériorée est difficile à redresser, et les dommages à long terme en termes de réputation peuvent être significatifs.
Deux cas, deux situations, la même finalité
Focus sur deux courtes histoires qui nous sont contées par le site
La nouvelle école de créativité. Elles relatent les trajectoires professionnelles de Charles et Mathilde :
"Charles était journaliste avant de se convertir, salaire oblige, dans le marketing. Sitôt sa décision prise, il fut embauché. Sans formation, il devint du jour au lendemain chargé d’études qualitatives. Il écrit beaucoup, réalise des interviews (après tout il était journaliste) et réalise des benchmarks, une activité qui consiste essentiellement à coller des images et des mots à partir de recherches Google. Mais Charles comprend rapidement que son job est inepte. Bien payé, mais vide de sens. Il souffre d’insomnies, éprouve des vertiges et un jour, face à la vacuité sans fond d’un séminaire de sémiologie marketing, sort précipitamment de la pièce, consulte un médecin, et apprend qu’il a développé un zona.”
Mathilde a un profil junior. “Agée de 23 ans. Elle est embauchée à Berlin dans une start-up. Avec le titre ronflant de "Success custom manager", rien de moins. En réalité, il s’agissait d’un job de commerciale sans formation qui consistait à appeler des gens. Comme elle l’explique elle-même son job à la con se résume ainsi : « C’est un travail ingrat, inintéressant. On appelle des gens qui ont d’autres choses à faire, qui n’ont pas envie de vous parler ; on se fait jeter, on remplit des bases de données. » Dans des temps préhistoriques, des employés quittaient leur entreprise, après 30 ans de loyaux services. Mathile, quant à elle, détient peut-être le record de brièveté au travail. Elle a décidé de claquer la porte après 10 jours seulement.”
Et d’en conclure (non sans un certain pessimisme) : “Ces deux cas nous ramènent à la réalité. Le monde du travail, dans son état actuel, crée des jobs à la con aux titres ronflants pour attirer des candidats surqualifiés qui en réalité devront se contenter d’effectuer des tâches de bas niveau souvent mal payées.”
Pour rétablir la transparence dans les intitulés de poste, les recruteurs doivent adopter une approche plus honnête et cohérente, en se concentrant sur la clarté et la précision. Un bon intitulé de poste doit refléter fidèlement les missions principales, le niveau de responsabilité et les compétences requises, sans chercher à enjoliver ou à rendre le poste plus attrayant de manière artificielle. Les entreprises doivent éviter de céder à la tentation de formuler des intitulés trop flatteurs, qui peuvent créer des attentes démesurées et mener à des déceptions, tant chez les candidats que chez les employés.
Le défi consiste à trouver un équilibre entre l’attractivité nécessaire pour attirer des talents et l’honnêteté indispensable pour maintenir la confiance. Un intitulé de poste moderne peut être captivant sans être trompeur. Par exemple, un terme comme "Consultant en transformation digitale" est à la fois précis et évocateur. Il offre une vision claire du rôle tout en restant attrayant. Plutôt que de chercher à surprendre avec des titres trop accrocheurs, les entreprises devraient se concentrer sur la précision et la pertinence, en évitant les termes trop vagues ou flous qui ne disent rien sur le poste réel.
De plus, les entreprises devraient mettre davantage l’accent sur le contenu même du poste et les perspectives offertes plutôt que sur des intitulés à la mode. En valorisant les possibilités d’évolution professionnelle, l’impact concret du rôle et la culture d’entreprise, elles peuvent attirer des candidats réellement motivés par le poste et ses responsabilités. Cette transparence, au-delà de l'intitulé, permet de créer un environnement de confiance dès le processus de recrutement et aide à éviter des recrutements infructueux, des départs précoces ou un turn-over élevé. Une approche sincère et transparente renforce également la marque employeur et améliore la perception globale de l’entreprise sur le marché du travail.