"On assiste à une hausse spectaculaire du nombre des très âgés, même si bien sûr d'un point de vue démographique, cela reste négligeable", explique à l'AFP la démographe France Meslé, une des auteurs de l’étude de l’Ined intitulée “Vivre au-delà de 105 ans : quand l’improbable devient réalité”.
Selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), les années récentes ont vu s’imposer une nouvelle classe d’âges, les 105 ans ou plus dont le nombre était estimé à près de 2 000 au 1er janvier 2023, ce qui correspond au nombre de centenaires en 1981. Aujourd’hui, la France compte de plus en plus de centenaires : ils sont environ 31 000 en 2024, soit 30 fois plus qu’il y a 50 ans. Sous l’hypothèse d’une poursuite des tendances actuelles de la mortalité, l’Insee projette plus de 200 000 centenaires en 2070.
Si la grande majorité des centenaires sont des femmes (86% en 2023 selon l'Insee), leur prépondérance est encore plus importante pour les 105 ans et plus (plus de 90% en 2020) et davantage "spectaculaire" chez les supercentenaires.
Prédominance des femmes centenaires & augmentation des décès pour les plus de 105 ans
Plusieurs facteurs contribuent à l'augmentation de l'espérance de vie en France. Les progrès dans le domaine de la médecine ont joué un rôle majeur. En effet, l'amélioration des traitements médicaux, la généralisation des vaccinations, et les avancées dans la prévention et le traitement des maladies chroniques ont permis de réduire considérablement la mortalité liée à de nombreuses pathologies. De plus, les conditions de vie se sont améliorées au fil des années, avec un meilleur accès à une alimentation équilibrée, à l'eau potable, à l'hygiène, ainsi qu'à des conditions de travail plus sûres. En combinant ces différents facteurs, la France a réussi à offrir à sa population des conditions propices pour une vie plus longue, ce qui a contribué à repousser, d'année en année, l’âge du décès.
L’étude de l’Ined souligne que le nombre de décès au-delà de 105 ans est certes encore dérisoire (moins de 0.15%) comparé aux plus de 600 000 décès observés chaque année en France mais, son explosion est spectaculaire. Limité à quelques unités jusqu’à la fin des années 1980, il augmente très vite pour atteindre 924 en 2020. En 2021 et 2022, ce nombre diminue mais il ne faut pas y voir une diminution de la probabilité d’atteindre l’âge de 105 ans. C’est simplement l’arrivée à cet âge des classes creuses nées durant la Première Guerre mondiale. L’effondrement des naissances (plus de 40 %) enregistré à partir de 1915 et jusqu’en 1919 se répercute encore 105 ans plus tard avec des générations aux effectifs plus réduits. Si la baisse n’est pas visible dès 2020, cela tient sans doute au fait que les décès de cette année-là ont été amplifiés par l’épidémie de Covid-19.
Au sein même de ces centenaires, les années récentes ont vu s’imposer une nouvelle classe d’âges, les 105 ans ou plus dont le nombre était estimé à près de 2 000 au 1er janvier 2023, ce qui correspond au nombre de centenaires en 1981.
Par ailleurs, l’étude révèle que l’immense majorité des personnes décédées à 105 ans ou plus sont des femmes (843 femmes et 81 hommes en 2020, soit 10 fois plus de femmes que d’hommes). Ce ratio impressionnant tient entièrement à la surmortalité masculine, qui prévaut tout au long de la vie, notamment aux âges actifs, et qui réduit d’autant les effectifs des générations masculines par rapport à leurs homologues féminines. Mais encore, dans la pyramide des décès par âge au-delà de 105 ans, la prépondérance féminine est encore plus spectaculaire.
Qui sont les supercentenaires ?
On appelle supercentenaires les personnes ayant atteint l’âge de 110 ans, rappelle l’étude. Dépasser cet âge reste un événement peu commun mais sa fréquence s’est à son tour fortement accrue dans les dernières décennies. Le RNIPP (Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques) ne rapporte aucun décès au-dessus de cet âge avant 1987. Il faut attendre 20 ans de plus pour que ce nombre dépasse la dizaine. Depuis, il croît fortement, en dépit des aléas liés aux petits nombres.
En 2022, ce sont ainsi 39 personnes qui sont décédées à 110 ans ou plus. Parmi elles, comme on pouvait s’y attendre, relève l’étude,
une écrasante majorité de femmes. En 2022, sur les 39 personnes décédées, 38 étaient de sexe féminin.
Leur profil, "c'est souvent une femme, qui a fait des petits métiers assez durs en plein air (agricultrice, femme d'agriculteur...) et a eu une alimentation basée sur des produits sains, non-transformés", indique Laurent Toussaint, spécialiste des supercentenaires.
Ma tante dit parfois : “qu’est-ce que je fais là ? Le Bon Dieu m’a oubliée”, déclare à l'AFP Jean-François Bazin, un des neveux d’Andrée Bertoletto, 113 ans, qui vit dans un
Ehpad à Montsûrs, en Mayenne. Elle qui fut secrétaire dans l’entreprise de maçonnerie de son mari n’entend plus bien et ne peut plus marcher. “Malgré tout, cette grande croyante reste joyeuse et ne se plaint jamais”, souligne François Bazin, en expliquant qu’elle n’a jamais fumé ni bu d’alcool, “à part du champagne lors d’occasions.”

La France : championne d’Europe des centenaires !
D’après les données de l’Insee, la France, qui affiche l'espérance de vie la plus élevée de l'Union eureopéenne pour les femmes (85.2 ans en 2022), était le pays comptant le plus grand nombre de centenaires en Europe l'an passé.
Plus en détails, l’étude de l’Ined indique que d’un département à l’autre, en France hexagonale, le nombre de supercentenaires décédés rapportés à la population varie de 0 à 17 pour un million d’habitants sans qu’une géographie précise n’apparaisse. Ainsi, aucun département de la France métropolitaine ne se détache particulièrement. Toutefois, la Guadeloupe et la Martinique avec respectivement 44 et 36 supercentenaires pour un million d’habitants se distinguent nettement du reste de la France hexagonale.
L’augmentation du nombre de supercentenaires dans les années récentes et la prépondérance féminine se retrouve dans tous les pays où il est possible de valider les âges au décès. La France est mieux placée que l’Angleterre-Galles, pour laquelle on dispose de données comparables. En 2020, dernière année disponible pour ce pays, le rapport du nombre de supercentenaires décédés à l’effectif des générations 1906-1910 est de 2.4 pour un million alors qu’en France il s’élève à 6.9 pour un million.
Il convient de souligner que la doyenne française supposée est Marie-Rose Tessier. Elle vit dans un Ehpad des Sables-d’Olonne (Vendée) et va fêter le 21 mai prochain ses 114 ans. Au niveau mondial, le titre revient à Maria Branyas Morera, 117 ans, qui vit en Espagne, selon l’organisation californienne GRG (Gerontology Research Group). La célèbre Française Jeanne Calment, décédée à 122 ans en 1997, est la personne ayant vécu le plus longtemps dans l’histoire, selon le Guiness World Records.
"Une étonnante surreprésentation" des plus que centenaires dans les Antilles
L’étude de l’Ined révèle qu’on retrouve les supercentenaires surtout dans les Antilles françaises avec, proportionnellement à la population, "près de huit fois plus de supercentenaires en Guadeloupe et en Martinique qu'en France hexagonale".
Léocadie-Elmira Forlac, habitante de la commune de Petit-Bourg, en Guadeloupe, a fêté en décembre ses 100 ans. Elle vit seule, cuisine, fait son jardin et ne connaît pas les fast-foods. "Son secret, c'est qu'elle n'a pas mangé ce que nous mangeons. Elle a mangé des fruits à pain, ignames, bananes jaunes, (légumes) racines... que du local !", explique à l'AFP sa fille, Agnès Forlac, 66 ans, en ajoutant qu'elle avait aussi fait "pas mal de kilomètres à pied chaque jour pour aller travailler”.
Les auteurs de l’étude s’interrogent sur cette exceptionnelle longévité en mettant en évidence plusieurs facteurs : S’agit-il d’un effet lié à l’environnement (climat, histoire coloniale, mode de vie…) ? Mais alors, pourquoi ne retrouve-t-on pas le même avantage dans une île comme La Réunion ? Une hypothèse alternative pourrait tenir à la
spécificité du peuplement de ces îles, essentiellement constitué de descendants d’esclaves ayant souffert la traite négrière, incluant la très meurtrière traversée de l’Atlantique, à laquelle les esclaves réunionnais ont échappé. Ces conditions extrêmes ont pu conduire à une sélection des plus robustes et, ce faisant, peut-être celle de gènes de la longévité.
De fait, les remontées généalogiques déjà effectuées pour la moitié des supercentenaires, soit une quinzaine, montrent qu’ils descendent tous d’esclaves.
Le simple hasard de peuplement initial et son évolution dans un milieu insulaire pourraient également être à l’origine de cette longévité, observée dans d’autres îles, comme la Sardaigne, l’île d’Ikaria en Grèce ou d’Okinawa au Japon. Seules des études génétiques pourront confirmer ces différentes hypothèses. Ainsi, il n’existe pas encore d'explications claires à ce phénomène. Des "pistes demandant à être vérifiées" commentent les chercheurs de l’étude.
Sources des informations :
Ined - France Meslé, Jacques Vallin, Carlo-Giovanni Camarda, Arianna Caporali, Svitlana Poniakina, Laurent Toussaint, Jean-Marie Robine, Vivre au-delà de 105 ans : quand l’improbable devient réalité, 2024, Population et Sociétés, n° 621 ; AFP.