La start-up n’a pas perdu son caractère innovant du côté des jeunes diplômés 

Selon Caroline Pailloux, fondatrice et CEO d’Ignition Program (une plateforme spécialisée dans le recrutement en start-up) qui a livré ses impressions au site en ligne Mieux, l’intérêt des candidats et des collaborateurs pour les start-up est toujours présent ! Pour la spécialiste,  les jeunes sont particulièrement attirés par ce type d’entreprises. Pourquoi ? “Tout simplement parce qu’ils ont besoin que ça bouge (parce qu’on vit dans une ère où attendre n’est plus une habitude, parce que voir sa décision appliquée sur le terrain donne le sentiment d’avoir plus d’impact…). Ils ont envie d’évoluer vite. Les start-up leur offrent cela… Ce qui a changé en revanche, avec les années, c’est la maturité des candidats et des collaborateurs”, relève Caroline Pailloux.

L’évolution de la start-up est le fruit de montagnes russes. D’abord objet de méfiance de la part des candidats et de leur entourage, la start-up a par la suite incarné un nouvel élan (modernité, dynamisme, techniques de management innovantes, multiplication des open space pour plus de convivialité, avantages sociaux plus conséquents etc.) pour être aujourd’hui normalisée. 

Caroline Pailloux le résume ainsi : “On est passé en moins de dix ans à un monde attrayant mais qui faisait peur à certains (en termes de salaires proposés, de stabilité des start-up…), à un monde qui a soudainement attiré beaucoup de monde puis, à une chute du fantasme avec les avis sur Glassdoor (ndlr - c’est un site Internet où les employés en poste ou en partance évaluent l’environnement de travail de leur entreprise anonymement), le mouvement Balance Ta Start-Up” ou encore Balance ton agency. 

Ce retour à la réalité montre surtout que les start-up souffrent des “mêmes travers inexcusables (en termes d’horaires ou de respect des personnes) que certaines entreprises traditionnelles.” poursuit Caroline Pailloux. Mais, ce qui a changé, ce sont les attentes des candidats. “Aujourd’hui, les candidats sont plus lucides sur ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas, sur ce qu’ils peuvent attendre d’une start-up. Ils ont aussi mieux compris la stabilité financière potentielle des différents types de start-up.” précise Caroline Pailloux. 


L’impact du mouvement Balance 

Dans la lignée du compte Instagram @balancetonagency (fondé le 22 septembre 2020 par Anne Boistard) qui retranscrit les récits anonymes de salariés ou d’anciens salariés qui ont subi des violences dans le milieu de la publicité et de la communication, le compte Instagram @balancetastartup lancé trois mois plus tard, a pour vocation  de dénoncer les abus de plus en plus nombreux dans le milieu des start-up, en recueillant les témoignages (sous couvert d'anonymat) de personnes travaillant ou ayant travaillé dans une start-up. Succès quasi immédiat pour ces deux comptes qui comptabilisent en début d’année 2024, pour le premier, près de 300 000 abonnés et plus de 200 000 abonnés pour le second. Les témoignages affluent et les procédures judiciaires pour diffamation (menées par certaines start-up visées) aussi...

De nombreux récits pointent du doigt des techniques de management toxiques, des pressions exercées par les supérieurs hiérarchiques, de la fausse bienveillance, de l'intimidation, des inégalités salariales, ou encore des propos humiliants, vexants, racistes, homophobes, misogynes. Relayés par les médias, ces témoignages ont provoqué un véritable séisme ! En effet, la start-up représente aux yeux de nombreuses personnes (les jeunes diplômés en tête) la “coolitude”, la “branchitude”, “the place to be” pour les jeunes diplômés avides de prendre un risque professionnel tout en saisissant l’opportunité de se détourner des grands groupes, lassés selon eux, de leur dogmatisme. Les jeunes entrepreneurs craignent quant à eux de voir leur société épinglée sur l’un de ces comptes (ce qui serait néfaste pour leur notoriété), la résiliation potentielle de contrats à venir, l’annulation d’un rachat ou d’une levée de fonds. Mais aussi, les jeunes diplômés pourraient se détourner à jamais de l’univers des start-up.

Les témoignages accablants qui ont été recueillis, reportés puis retranscrits par les comptes Balance, démontrent qu’aucune société (petite, moyenne ou grande) si innovante et moderne soit-elle, ne peut (malheureusement) échapper aux problématiques de respect pourtant élémentaires, des règles du droit du travail. 


Besoin d'aide à domicile ?

Quelques exemples d’affaires sorties au grand jour et au grand dam des jeunes pousses

Des sociétés connues et puissantes comme : Lydia (une application bancaire conçue pour envoyer et recevoir de l'argent, payer, épargner…), Meero (une plateforme de mise en relation entre photographes et entreprises), Doctolib (service de gestion en ligne des consultations), La Rosée Cosmétiques (une société de cosmétiques) se sont retrouvés “épinglées” sur le compte Instagram @balancetastartup. Nanaba, le leader des applications éducatives a subi le même sort, de nombreux témoignages dénonçant des salaires impayés depuis plusieurs mois ou encore des coups de pression, mettant à mal l'image cool, dynamique et “way of californian life” de la start-up créée par Anne Laure Monier et Olivier Guérin. Aujourd’hui, la start-up niçoise a définitivement fermé ses portes. 

Si le compte @balancetastartup n’a pas été à l’origine de la cessation d’activité de la start-up Nanaba, la libération de la parole des salariés a permis de mettre en lumière un certain nombre de problématiques en matière de ressources humaines, de droit du travail… Et de faire péricliter une levée de fonds en cours et par là-même la jeune start-up ? Olivier Guérin déclarait au site Tribuca.net, peu avant la fermeture de sa société : "Nous sommes en pleine levée de fonds, et nous étions sur le point de finaliser l'arrivée de gros investisseurs. C'est dommage...", fustigeant “les commentaires farfelus et sans fondement" véhiculés par les réseaux sociaux. 


Les start-up sont-elles tombées de leur pied d’estale ? 

Les révélations des comptes “Balance” ont-elles eu un impact sur la planète start-up ? Oui et non. Les Echos Start révèle que, les start-up qui allaient bien vont encore mieux et les start-up sur le déclin vont moins bien. Elise Fabing, avocate du mouvement “Balance” déclare : “les publications passent et le business continue”. L’avocate a toutefois été contactée à deux ou trois reprises par des investisseurs pour savoir si elle avait des informations sur telle ou telle boîte. Mais rien de plus.

Pour les fonds d'investissement interviewés par les Echos Start, ces révélations sur les réseaux sociaux ne représentent pas un critère de premier ordre. “Cela nous sert à poser des questions mais pas à prendre la décision d'investir ou pas. C'est un éclairage utile”, avance Cyril Bertrand, managing partner dans le fonds Xange. “Cet indicateur nous permet de nous intéresser à la capacité du management à attirer et préserver les salariés, l'une des clefs du succès pour faire grandir l'entreprise”, explique quant à lui François Véron, CEO de Newfund.

Que ce soit Iziwork (une agence d'intérim numérique française), Lydia, Doctolib, toutes ont fait des levées de fonds à plusieurs dizaines de millions d'euros peu avant d'être citées par le compte Instagram Balance ta start-up. Et pourtant, ces sociétés ont pu continuer leur développement avec des financements nécessaires. Et une fois que ces scandales explosent : “on peut néanmoins en parler en conseil de surveillance et on voit ce qui pourrait être changé”, ajoute Cyril Bertrand. On est en mesure de se demander si la parole est suivie des faits ? 

Toutefois, suite à ces “affaires” les start-up prises dans le collimateur du mouvement Balance, semblent prendre les dispositions nécessaires pour respecter le droit du travail. Ainsi, Iziwork assure avoir “lancé une phase d’audit avec un dispositif de dialogue entre l’ensemble des collaborateurs et leurs responsables des ressources humaines et avoir mis en place une plateforme d’écoute anonyme et sécurisée ainsi qu’un baromètre trimestriel sur la qualité de vie et la santé au travail des collaborateurs.” Iziwork a également annoncé (en mars 2021) à Ouest-France un “plan de formations renforcé aux meilleures pratiques en matière de qualité de vie au travail à destination des managers, la signature d’une charte éthique, un partenariat avec une structure d’écoute professionnelle, spécialiste des questions de santé et du soutien psychologique.”

Mehdi Tahri, le co-fondateur d'Iziwork affirme également pour les Echos Start, que grâce à ces nouvelles mesures : “la motivation et la satisfaction des salariés ont augmenté d'après les résultats de nos sondages internes : la proportion de ceux s'estimant très heureux est passée de 66% juste après les révélations à 80% aujourd'hui.”


Bilan : la start-up, une entreprise finalement comme les autres

Le mouvement Balance a permis aux entrepreneurs de mener des actions en faveur du bien-être au travail au sein de leur start-up. Nicolas Fournier à la tête du cabinet de recrutement spécialisé dans les start-up Job4 affirme pour les Echos Start :  “Indirectement, on sent une sensibilisation plus forte au bien-être des salariés de l'écosystème (...) Un certain nombre de start-up se sont équipées de fonctions RH qui n'existaient pas auparavant.”

La dimension coaching et mentoring prendrait également de l'ampleur selon le site des Echos. Les start-up ayant compris que les managers, souvent jeunes et inexpérimentés, avaient besoin d'être formés et ne devaient pas être uniquement braqués sur les résultats et la performance. Car oui, l’humain entre en jeu et le respect des règles élémentaires du droit du travail aussi.

Les comptes Instagram Balance ont montré que la start-up était une entreprise comme une autre, pas meilleure qu'une entreprise dite traditionnelle, “loin de l'image d'Epinal qui a pu être véhiculée”, affirme Nicolas Fournier pour les Echos Start. “S'ils n'ont pas eu beaucoup d'impact business, ces comptes ont permis de casser l'image excessivement cool des start-up.” Et ce n'est pas plus mal”, ajoute Cyril Bertrand du fonds Xange. “Les entrepreneurs doivent être plus clairs sur la promesse faite au moment de l'embauche pour éviter les malentendus. Non, travailler dans une start-up n'est pas toujours super cool. Ce sont des jobs à forte intensité de travail.”