Des démissions qui s’accélèrent au fil des années 

Le secteur libéral attire les infirmières hospitalières 

L’étude de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques) révèle que les proportions d’infirmières hospitalières exerçant toujours la même profession 5 et 10 ans après le début de leur carrière ont varié au fil des générations.

Les personnes entrées dans la profession d’infirmière entre 1989 et 2019 sont de moins en moins nombreuses à occuper, au cours des années, un emploi salarié, hospitalier ou non. Au bout de 5 ans de carrière, elles ne sont plus que 87% à occuper un emploi salarié. Le pourcentage descend à 79% au bout de 10 ans. Entre 1989 et 2019, sur les 79% de personnes qui ont encore un emploi salarié 10 ans après leur premier poste d’infirmière hospitalière, 54% exercent toujours cette profession à l’hôpital, 11% sont toujours infirmières salariées mais pour un autre type d’employeur (par exemple un Ehpad - Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), une administration publique ou en intérim, 7% ont changé de métier mais sont restées dans le secteur hospitalier (par exemple dans un emploi administratif) et 7 % ont changé de profession et de secteur.

Pour les infirmières, les sorties de l’emploi salarié peuvent se faire vers le libéral, sous certaines conditions d’expérience en termes d’exercice salarié. Ainsi, 13% d’entre elles ont un emploi indépendant 5 ans après leurs débuts comme infirmière hospitalière, et 17% après 10 ans. Cela s’explique principalement par le choix d’exercer comme infirmière libérale, qui concerne 5% d’entre elles à titre exclusif et 4% à titre mixte après cinq ans, puis 10% à titre exclusif et 2 % à titre mixte après 10 ans. L’exercice mixte correspond ici au fait d’avoir à la fois un emploi indépendant d’infirmière libérale et un emploi salarié la même année civile.

L’étude souligne que l’emploi indépendant dans d’autres professions est nettement plus rare. En effet, au bout de 5 ans d’exercice, seul 1% des effectifs occupent un emploi indépendant d’une autre profession, et 2% en même temps qu’un emploi salarié. Les proportions correspondantes s’élèvent à 3% et 2% après 10 ans.

Enfin, la part des infirmières ayant démissionné qui n’ont aucun emploi en France métropolitaine (chômeuses, inactives ou ayant quitté le champ de l’étude en partant à l’étranger par exemple) augmente au cours du temps. Cinq ans après le premier poste d’infirmière hospitalière, cette part s’élève à 5% et 10 ans après, à 11%. 

La maternité joue-t-elle un rôle dans la profession d’infirmière ? 

Les auteurs de l’étude s’interrogent : dans la mesure où il s’agit d’une profession extrêmement féminisée et parce que de nombreuses femmes réduisent leur activité professionnelle sur le marché du travail en devenant mère, on peut se demander si cette arrivée d’enfant explique au moins partiellement les flux de sortie de la profession.

Les conclusions de l’enquête de la DREES ne laissent aucune place au doute. Le fait de devenir mère ne conduit pas les femmes qui ont occupé un poste d’infirmière hospitalière à se retirer de l’emploi salarié. De même, il n’influe pas sur la décision de rester infirmière hospitalière. En revanche, devenir mère conduit bien les femmes qui ont exercé la profession d’infirmière hospitalière à diminuer leur volume de travail salarié. Plus précisément, elle conduit à diminuer de 0.14 EQTP (Équivalent Temps Plein) leur volume de travail salarié 5 ans après la naissance de leur premier enfant et de 0.22 EQTP 10 ans après.

Cette diminution s’explique essentiellement par des passages à temps partiel. La fréquence de ces passages à temps partiel est comparable à celle qu’on peut mesurer sur la totalité de l’emploi salarié. 

Les résultats d’une étude qui ne surprend guère la profession 

Le SNPI en appelle à un “plan Marshall”

En réponse à l’étude de la DREES, le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), ne mâche pas ses mots, faisant mine de s’interroger dans son communiqué de presse : Comment s’étonner que des infir­miè­res sous-payées, en sous-effec­tif, agres­sées par des patients et leurs famil­les, et sou­vent vic­ti­mes de mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle ne res­tent pas à l’hôpi­tal ?

Pour le SNPI, face à la pénu­rie et pour rendre l’hôpi­tal attrac­tif, il est nécessaire voire salutaire pour la santé des patients comme des infirmières, de mettre en place un “plan Marshall” en 3 points.

Le premier point concerne les ratios de patients par infirmière. En France, c’est un fait, les infir­miè­res sont en sous-effec­tif. Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) constate : “Alors que les normes inter­na­tio­na­les sont de 6 à 8 patients par infir­mière, en France c’est sou­vent le double. Ces condi­tions de tra­vail indi­gnes font fuir les soi­gnants. Malgré les Power Point sur le bien-être au tra­vail, la qua­lité de vie au tra­vail, la bien­veillance etc., à l’hôpi­tal la réa­lité est très noire. Alors qu’il y a déjà 60 000 postes infir­miers vacants et que 10% des soi­gnants sont en mala­die, épuisement, dépres­sion, bur­n-out, il y a urgence à agir. Nous avons besoin d’un plan Marshall sur sauver l’hôpi­tal, avec des ratios com­pa­ti­bles avec la qua­lité des soins, une reva­lo­ri­sa­tion des salai­res, et une amé­lio­ra­tion des condi­tions de tra­vail."

Certains pen­sent qu’en raison de la pénu­rie, il n’est pas pos­si­ble d’implan­ter des ratios de patients par infir­mière. Au contraire, ces der­niers don­ne­ront l’impul­sion néces­saire pour atti­rer et rete­nir les soi­gnants.

À la suite de l’implan­ta­tion des ratios en Californie, les postes vacants ont dimi­nué de 69%, les acci­dents de tra­vail ont dimi­nué de 31.6% chez les infir­miè­res. De plus, le nombre d’infir­miè­res a aug­menté en moyenne de 10 000 par an, constate le communiqué de presse du syndicat. Ce sont les condi­tions de tra­vail et de pra­ti­que pro­fes­sion­nelle qui font fuir les pro­fes­sion­nels infir­miers ou qui les obli­gent à quit­ter leur pro­fes­sion. Les ratios pro­fes­sion­nels en soins / patients sont la mesure struc­tu­rante pour atti­rer et rete­nir le per­son­nel soi­gnant.

Le deuxième point évoqué touche aux condi­tions de tra­vail qui n’ont cessé de se dégrader au cours des décennies. Rappels sur repos, heures sup­plé­men­tai­res, refus de temps par­tiel, chan­ge­ments d’horai­res, etc. Et mise en insé­cu­rité pro­fes­sion­nelle : "Pour pal­lier une absence, un infir­mier peut passer du jour au len­de­main de la cardio à la neuro. Pour la direc­tion c’est la poly­va­lence. Les soi­gnants déjà débor­dés n’ont pas le temps de nous former et une erreur de soins est pos­si­ble. Pour une infir­mière c’est du stress, de l’insé­cu­rité pro­fes­sion­nelle et un mépris des com­pé­ten­ces : nous ne sommes pas des pions. On ne peut plus arri­ver au boulot la boule au ventre avec la crainte de faire un mau­vais geste et de mettre en danger les patients." avance Thierry Amouroux. Il parle également de perte de sens : "Chaque patient est unique et doit être traité comme tel. Mais on a trans­formé l’hôpi­tal en usine à soins. Cela nie tout ce qui fait le cœur du métier. Le patient n’est pas un objet de soins : il a des peurs, il a des ques­tions. Nous devons expli­quer la mala­die et le trai­te­ment. Ce tra­vail d’éducation, de rela­tion d’aide, d’accom­pa­gne­ment ne rentre pas dans les cases de l’admi­nis­tra­tion.” 

Le communiqué de presse souligne que : le sys­tème de santé souf­fre de dys­fonc­tion­ne­ments impor­tants. Les équipes de soins sont sur­char­gées et épuisées depuis de nom­breu­ses années. Cette situa­tion fait en sorte qu’elles se retrou­vent, bien malgré elles, dans l’obli­ga­tion de prio­ri­ser des soins lorsqu’elles ne sont pas en mesure de tous les donner. Au bout du compte, ce sont les patients et les per­son­nes pro­ches aidan­tes qui en souf­frent. La crise du COVID-19 a levé le voile sur une situa­tion inac­cep­ta­ble qui per­dure depuis trop long­temps.

35 infir­miè­res sont agres­sées chaque jour dans les hôpi­taux, selon L’Obser­va­toire Natio­nal des Vio­len­ces en milieu de Santé (ONVS). Pour le SNPI, il n’est pas admis­si­ble que des soi­gnants soient insul­tés et mal­trai­tés. Les infir­miè­res met­tent également en avant un sen­ti­ment d’insé­cu­rité lorsqu’elles pren­nent ou quit­tent leur poste.

Le troisième et dernier point touche aux salaires. Le communiqué de presse du SNPI met en avant les bas salaires des infirmiers français : “Le Ségur de la santé nous a fait passer de moins 20% sous le salaire infir­mier euro­péen à moins 10%. Nous res­tons exploi­tées, d’où la ten­ta­tion d’aller tra­vailler en Belgique (+30%) ou en Suisse (salaire brut doublé). Les soi­gnants, qui tra­vaillent sans relâ­che pour offrir les meilleurs soins à la popu­la­tion, récla­ment une rému­né­ra­tion à la hau­teur de l’impor­tance vitale de leur tra­vail, de leur niveau de com­pé­tence, de for­ma­tion et de res­pon­sa­bi­lité." déclare Thierry Amouroux. "Il faut également revoir le finan­ce­ment des contrain­tes (tra­vail de nuit, le week-end,..) : un euro l’heure de nuit, c’est mépri­sant. Nous ne deman­dons pas l’aumône." ajoute t-il. 
 

Un constat alarmant et bien amer

Le jeudi 24 août, sur les ondes de la station publique franceinfo, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), Thierry Amouroux, poursuivait dans la même lignée, explicitant ses propos. Il parle de nouveau de maltraitance institutionnelle vis-à-vis des infirmières car selon lui, l’insécurité professionnelle est réelle chez les infirmières dans la mesure où elles peuvent être confrontées à des changements de planning (constant) et de services sans en être averties. 

Mal-payées, surmenées, et victime de violence de la part de certains patients, les infirmières n’ont pas d’autre choix que de quitter une profession qu’elles aiment et qu’elles ont choisie par vocation. Beaucoup d’entre-elles vont dans le privé ou s’arrêtent et entament une reconversion professionnelle à mille lieues de leur métier d’origine. Thierry Amouroux déplore un véritable gâchis. Ces démissions ne sont profitables à personne. Et qui dit baisse du personnel soignant, dit augmentation de la mortalité des patients puisque ces derniers ne peuvent être correctement soignés et pris en charge.

Un cas concret, celui de Charlène, une infirmière trentenaire démissionnaire. Elle parle au micro de Franceinfo des difficultés auxquelles elle a dû faire face durant ses 11 années d’exercice : “On est sollicité de tous les côtés, entre les médecins, les patients... On n'a pas le temps de boire, d'aller aux toilettes. J'ai travaillé enceinte jusqu'à huit mois de grossesse, avec des patients qui râlaient parce que je n'allais pas assez vite (...)" Aujourd’hui, Charlène a quitté les couloirs d’un grand hôpital parisien (pour un salaire mensuel de 1900€). Elle travaille désormais dans une crèche. 

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