Les pères ont moins recours au congé de paternité que les mères
Quid de l’instauration des congés de maternité et paternité en France ?
Mis en place en 1909, le congé de maternité a pour but de protéger la santé de la mère et de son enfant à naître, ainsi que de faciliter les premières semaines de vie de la famille après la naissance tout en maintenant les revenus professionnels de la mère pendant cette période. Beaucoup plus récent,
le congé de paternité a été instauré en 2002 afin de développer les tout premiers liens entre le père et son enfant, rééquilibrer les tâches familiales et promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le congé de paternité a connu un succès immédiat avec un taux de recours avoisinant les deux tiers dès les premières années.
Et, comme le montre le
rapport de Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et président de la commission d’experts scientifiques sur les 1000 premiers jours de l’enfant, qui a remis son rapport au secrétaire d’État à l’enfance et aux familles, Adrien Taquet le 8 septembre 2020), ce sont pendant les 1000 premiers jours de la vie d’un enfant que se construisent les inégalités. La présence parentale renforcée est donc une chance pour l’enfant. Celui-ci pourra nouer un lien plus fort avec ses deux parents, dans cette période cruciale des premiers jours, où s’installe l’équilibre parental et où se nouent les premiers liens affectifs. C’est aussi une chance pour tous les pères, qui pourront passer deux fois plus de temps avec leur enfant et leur conjointe après la naissance.
Ces congés sont ouverts à tous les parents en emploi au moment de la naissance – sans condition d’ancienneté, d’activité ou de seuil d’effectifs – ou au chômage indemnisé au cours des 12 derniers mois. Ces dernières années, plusieurs réformes visant à assouplir les règles d’indemnisation, à harmoniser les différents régimes de congé de maternité ou encore à allonger la durée du congé de paternité et à en modifier les modalités de mise en œuvre ont vu le jour. D'ailleurs, l'actuelle ministre des Solidarités et des Familles,
Aurore Bergé, n'exclut pas de nouvelles réformes. Dans un entretien accordé à Ouest-France au mois de juillet dernier, la ministre déclarait entre autres "réfléchir ensemble à un congé parental plus court mais mieux indemnisé pour laisser un vrai choix aux familles."
L’enquête “Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants” (MDG), réalisée par la DREES entre le 1er octobre 2021 et le 9 février 2022 auprès de ménages ayant au moins un enfant âgé de moins de 6 ans, a permis de livrer des résultats inédits sur l’évolution récente des pratiques en matière de congé autour de la naissance. Ces données sont complétées par les résultats d’une enquête qualitative menée auprès de pères bénéficiaires de la réforme du congé de paternité en 2021 afin d’évaluer la façon dont évoluent les pratiques et les représentations paternelles au cours des trois premières années de vie de l’enfant.
Les pères font moins souvent valoir leur droit que les mères, en particulier quand ils sont au chômage
L’étude de la DREES montre qu’en 2021, parmi les parents d’enfants de moins de 3 ans, 82% des mères étaient éligibles au congé de maternité au moment de la naissance de leur plus jeune enfant contre 94% des pères pour le congé de paternité. Les pères sont ainsi bien plus souvent éligibles au congé de paternité que ne le sont les mères au congé de maternité, ce qui s’explique par la plus forte participation des hommes au marché du travail.
Les pères éligibles recourent moins au congé de paternité que les mères éligibles recourent au congé de maternité (71% contre 93%). Les parents au chômage indemnisé font nettement moins souvent valoir leurs droits que les parents en emploi, bien que la prise de ces congés suspende les obligations de recherche d’emploi et reporte les droits aux allocations chômage. En 2021, 75% des mères au chômage indemnisé à la naissance de leur benjamin ont pris un congé de maternité contre 95% des mères en emploi. L’écart est encore plus marqué pour les pères : 13% des pères au chômage indemnisé contre 76% des pères en emploi.
Ce moindre recours des parents au chômage indemnisé pourrait résulter d’une méconnaissance de leurs droits. En effet, certains parents se pensent inéligibles au dispositif du fait des restrictions habituellement associées à leur statut. Par ailleurs, l’écart plus marqué pour les pères pourrait traduire un sentiment d’illégitimité plus fort pour ces derniers lorsqu’ils sont au chômage, malgré une durée de congé nettement plus courte.
Des disparités constatées entre les catégories socio-professionnelles : les indépendants recourent de plus en plus au congé de paternité mais moins fréquemment que les salariés en contrat stable
Les résultats de l’enquête de la DREES soulignent une nette progression du recours au congé de paternité mais, des différenciations dominent entre les catégories professionnelles. Ainsi, le taux de recours au congé de paternité progresse fortement parmi les indépendants (de 32% en 2013 à 46% en 2021), mais il reste très inférieur à celui des pères fonctionnaires ou salariés en CDI dans le secteur public (91% en 2021) ou salariés en CDI dans le secteur privé (82% en 2021). Les salariés en contrat court ou discontinu se situent entre les deux extrêmes : leur taux de recours au congé paternité est plus élevé que les indépendants mais progresse moins (de 48% en 2013 à 51% en 2021). L’entrée plus fréquente dans le dispositif des pères indépendants ou en contrat court s’est par ailleurs accompagnée d’une hausse des congés de paternité pris partiellement. Ce recours partiel pourrait constituer pour les indépendants un compromis entre une norme de présence paternelle qui s’impose de plus en plus et une contrainte de présence professionnelle plus forte pour eux.
La post-enquête qualitative longitudinale réalisée auprès de pères interrogés dans l’enquête “Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants” (MDG) 2021 montre que l’arrêt temporaire de l’activité professionnelle est davantage perçu comme un “risque” par les indépendants par rapport aux autres pères (peur de perdre des clients, de manquer des opportunités professionnelles ou des temps forts de l’activité) ce qui constitue l’un des freins les plus importants au recours au congé de paternité.
Le manque à gagner pour les salariés et les indépendants dont les revenus excèdent le plafond d’indemnisation est également un obstacle au recours au congé de paternité et, contribue à expliquer les écarts entre les différentes situations d’emploi. Dans la fonction publique d’État comme dans plusieurs entreprises ou établissements publics, les pères bénéficient d’une indemnisation complète, même si leur salaire dépasse le plafond. Dans la fonction publique territoriale ou hospitalière, les règles sont fixées par la collectivité ou l’établissement. Dans le secteur privé, les employeurs ne sont pas tenus de compenser la perte de salaire. En 2017, une estimation réalisée par la Direction de la Sécurité sociale évaluait à moins de 20% la proportion de salariés du secteur privé couverts par des conventions collectives assurant un complément total ou partiel de salaire pour le congé de paternité.
Vers une sanctuarisation du temps de présence paternelle auprès du nouveau-né
Deux tiers des pères bénéficiaires de la réforme de juillet 2021 ont pris la totalité des 25 jours de congé, majoritairement en une seule fois
La réforme du congé de paternité, entrée en vigueur en juillet 2021, a allongé sa durée de 11 à 25 jours et ouvert la possibilité de le fractionner. En effet, la durée du congé pour le père (ou le second parent) d'un enfant à naître (ou adopté) double, passant de 14 à 28 jours, dont 7 obligatoires. La mise en place d’une semaine obligatoire à la naissance de l’enfant permet à tous les salariés – y compris les plus précaires – de bénéficier de cet avantage.
À la date de l’enquête de la DREES, 65% des pères bénéficiaires ont déjà pris la totalité des 25 jours de congé de paternité et 25% déclarent qu’ils ne prendront pas davantage de jours. Dans 80% des cas, les pères ont pris leur congé en un seul bloc. Le recours au fractionnement concernerait donc 20% des cas.
D’après les entretiens, il en ressort que le fractionnement répond à plusieurs logiques :
- La première consiste à diviser ce temps afin de ne pas s’absenter du travail sur une période jugée trop longue par les pères. Elle caractérise principalement les pères cadres, qui mettent en avant leurs responsabilités managériales, mais ne leur est pas réservée ;
- La deuxième relève davantage d’ajustements organisationnels, notamment des contraintes familiales souvent liées au mode de garde de l’enfant ;
- Plus minoritaire, le fractionnement peut également résulter d’une volonté des pères de passer du temps seul avec leur enfant, à la fin du congé de maternité.
Les pères démarrent beaucoup plus souvent leur congé de paternité dans la semaine qui suit la naissance et complètent leur congé de paternité avec d’autres types de congés
En 2021, avant la réforme, 72% des pères ont commencé leur congé de paternité dans la semaine ayant suivi la naissance de leur enfant alors qu’ils étaient seulement 49% en 2013. Cette forte augmentation témoigne de la valorisation croissante du temps d’accueil du nouveau-né, souligne l’étude. La sanctuarisation des premiers jours s’observe pour la naissance du premier enfant mais aussi de plus en plus pour les naissances suivantes.
Outre le congé de paternité,
les pères en emploi salarié bénéficient de 3 jours de congé de naissance accordés et pris en charge par leur employeur. En 2021, parmi les pères en emploi salarié au moment de la naissance de leur enfant, 87% ont pris ces 3 jours. Cette part atteint 97% parmi ceux ayant par ailleurs pris un congé de paternité (avant la réforme). Ces proportions sont similaires à ce qui était observé en 2013.
Interrogés sur la prise d’autres types de congés au moment de la naissance de leur enfant, environ
2 pères sur 5 en emploi salarié déclarent avoir assorti leur congé de paternité (pris avant réforme)
avec des congés annuels, des RTT, des congés sans solde, des congés spécifiques prévus dans le cadre d’une convention collective ou encore un congé parental. Dans la majorité des cas, les jours en question correspondent à des congés annuels.
La durée de ces congés complémentaires est très variable. En 2021, parmi les pères concernés, 23% ont complété leur congé de paternité avec un à cinq autres jours de congé, 26% ont pris six à dix jours supplémentaires, 30% 11 à 15 jours, et enfin, 21% déclarent avoir pris plus de 15 jours.
Comme pour le recours au congé de paternité, le statut d’emploi joue un rôle important dans le recours aux congés complémentaires au moment de la naissance d’un enfant. Parmi les pères salariés en contrat court, environ 1 sur 4 a complété son congé de paternité avec d’autres congés, contre près d’1 père sur 2 parmi les fonctionnaires ou salariés en CDI dans le secteur public. Ce moindre recours parmi ceux ayant les conditions d’emploi les plus précaires peut traduire leurs difficultés à prolonger officiellement leur temps de présence auprès de l’enfant, ou à en planifier la période.
Concernant la catégorie socio-professionnelle, les différences sont nettement moins marquées relève l'enquête de la DREES. Seuls les pères ouvriers se démarquent des autres par un moindre recours (30% contre 44-45% pour les autres catégories). Comme le suggèrent d’autres travaux, d’autres caractéristiques, comme l’adhésion par les pères à des normes égalitaires de partage des tâches domestiques et parentales par exemple, peuvent expliquer cette prolongation du temps auprès de l’enfant.
Source : Enquête de la DREES :
Modes de garde et accueil des jeunes enfants.